4.5 Fichier des nouvelles constructions et facteur économique

Présentation et sommaire

Le fichier des nouvelles constructions est un ensemble de renseignements que l’évaluateur municipal tient à jour sur le coût véritable d’acquisition des constructions récemment érigées sur le territoire de chaque municipalité. Prévu au Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ) et visé par les normes de pratique professionnelle des évaluateurs agréés, ce fichier de travail contient les données nécessaires à l’établissement d’un des paramètres d’évaluation par la méthode du coût, appelé « facteur économique ». Ce dernier permet d’établir des évaluations qui tiennent compte des particularités locales ou régionales du marché de la construction.

Initialement prescrite en 1977, la mesure du facteur économique ne nécessite alors qu’« un nombre suffisant » d’observations. À compter de 1998, la constitution d’un registre permanent sur les nouvelles constructions et des règles détaillées d’analyse du facteur économique sont instaurées au MEFQ. Depuis 2013, le maintien à jour d’un fichier électronique à cette fin fait aussi l’objet de règles particulières, intégrées aux normes de pratique de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec.

Raison d’être du fichier des nouvelles constructions en évaluation municipale

Par souci d’uniformité et de transparence, la réglementation exige de tous les évaluateurs municipaux québécois qu’ils utilisent les barèmes de coûts unitaires contenus au Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ), lorsque la méthode du coût est appliquée pour établir les valeurs inscrites aux rôles d’évaluation. Déterminés en regard d’une seule région principale, ces barèmes ne permettent donc pas de prendre en considération des spécificités locales ou régionales du marché de la construction, lesquelles doivent quand même être prises en compte par les évaluateurs de chaque région du Québec.

Aussi, les résultats obtenus à l’aide des barèmes de coûts unitaires du MEFQ doivent être rajustés par chaque évaluateur, en fonction des réalités propres au territoire sous sa responsabilité. Appelé « facteur économique », l’un des rajustements à établir provient de l’analyse des prix véritables d’acquisition de constructions récentes, érigées sur le territoire en cause. Requise aux fins de la confection de chaque rôle triennal, cette analyse s’effectue à l’aide d’un fichier de travail constitué à mesure de l’obtention de données sur les nouvelles constructions visées.

À cette fin, le fichier des nouvelles constructions est un répertoire électronique où sont colligées les données ainsi requises. Il est partie intégrante du processus d’application de la méthode du coût décrit au MEFQ et il est visé par les normes de pratique professionnelle des évaluateurs agréés.

Documentation des coûts réels de construction avant les réformes des années 1970

Prenant origine sous le Régime britannique, les dispositions législatives régissant les pratiques québécoises d’évaluation foncière municipale sont transposées, à compter de 1871, dans le Code municipal et dans la Loi des cités et villes, ainsi que dans les chartes particulières à certaines villes. Pendant environ 100 ans, ces dispositions sont appliquées individuellement par chaque municipalité[1].

Bien que souvent modifiées, elles ne font pas mention de la collecte et de l’utilisation, par les estimateurs[2] municipaux, de données documentant les coûts véritables de construction des bâtiments. L’obtention et la conservation de telles données relève alors du choix des estimateurs locaux, selon des organisations très variées (services permanents des grandes villes, municipalités rurales, firmes privées, etc.).

Standardisation des méthodes utilisées en évaluation municipale

Devant la nécessité de procéder à une réforme de la fiscalité municipale au Québec, fondée sur le raffermissement de l’impôt foncier, deux commissions royales d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) signalent de graves lacunes en matière d’évaluation foncière, notamment quant à l’hétérogénéité et à la fiabilité discutable des méthodes d’évaluation utilisées à cette fin. Ces commissions concluent à l’impossibilité de réformer la fiscalité municipale sans réformer d’abord l’évaluation foncière.

Au cours des années 1970, le gouvernement du Québec prend donc les moyens nécessaires pour assujettir toutes les municipalités aux mêmes règles d’établissement des évaluations, de façon à obtenir des résultats comparables partout. D’abord, la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) rassemble et adapte, à compter de 1972, les dispositions relatives à l’évaluation foncière, lesquelles étaient antérieurement dispersées dans diverses législations. Elle instaure ensuite la réforme administrative de l’évaluation foncière en imposant plusieurs exigences nouvelles et universelles :

  • L’ordonnance ministérielle générale de mars 1977 exige des municipalités qu’elles confectionnent leur premier rôle « de nouvelle génération », au plus tard pour l’année 1984. Elle impose à cette fin de réaliser 10 étapes obligatoires, dont celle de l’évaluation des bâtiments;
  • Le Règlement numéro 1, aussi adopté en mars 1977, présente le cheminement à suivre quant à la réalisation des étapes prescrites de confection de tels rôles. À cette fin, ce règlement impose aux évaluateurs municipaux de se conformer aux consignes du MEFQ et d’utiliser les formulaires qui y sont décrits;
  • Le Manuel d’évaluation foncière du Québec, auquel réfèrent plusieurs prescriptions énoncées dans le règlement. Il s’agit plus précisément de l’édition 1976 du MEFQ, qui comprend plusieurs volumes ou appendices distincts. Les volumes 4 et 5 détaillent l’utilisation des divers formulaires prescrits, où sont systématiquement intégrés la description des bâtiments évalués et le calcul de leur valeur par la méthode du coût. 

Instauration d’exigences quant à la mesure du facteur économique

Fruit de quelques années d’expérimentation et de développement menés par le ministère des Affaires municipales (MAM), les volumes de l’édition 1976 MEFQ destinés à l’application de la méthode du coût répondent alors aux objectifs énoncés 10 ans plus tôt[3] par la Commission Bélanger, à l’effet qu’ils :

  • comprennent des barèmes de coûts unitaires universels, établis sur une même base[4] et devant être appliqués par tous les évaluateurs municipaux du Québec, ce qui assure la transparence de leurs calculs;
  • comportent un système de rajustements qui réfère à la date et aux conditions du marché de la construction dans chaque territoire évalué, ce qui assure la prise en compte des diverses réalités locales ou régionales.

Ainsi, outre la mesure d’un « facteur de conversion » qui prend en compte le coût local de la main d’œuvre et de certains matériaux, l’évaluateur de chaque municipalité est également tenu de mesurer un « facteur économique[5] » pour considérer, le cas échéant, des conditions du marché local de la construction qui ne peuvent être prises en compte autrement (concurrence, productivité, réglementation, mise en marché, etc.). Le facteur économique est un indice statistique qui résulte de la comparaison de plusieurs prix observés de constructions neuves et des coûts estimés pour les mêmes constructions à l’aide des barèmes du MEFQ. Cela nécessite donc que chaque évaluateur municipal recueille des données sur le coût véritable d’acquisition des immeubles visés.

Pour assurer le respect des exigences de la réforme à implanter, le MAM vérifie systématiquement, de 1977 à 1985, la conformité des principaux fichiers prescrits, dont celui concernant la détermination et l’application du facteur économique. Pour chaque municipalité, les subventions prévues par le Programme d’aide à l’implantation des rôles d’évaluation sont autorisées à partir des constats ainsi effectués, sous réserve des retenues d’argent afférentes aux correctifs requis. 

Évolution des exigences réglementaires et normatives quant fichier des nouvelles constructions

Les obligations imposées par la réforme de l’évaluation foncière de 1977 à 1984 font en sorte que les évaluateurs municipaux québécois se documentent désormais quant aux coûts véritables de construction des bâtiments. Les exigences de la réglementation sur le rôle d’évaluation foncière (RREF) et du MEFQ à ce sujet évoluent ensuite au fil du temps, de même que les normes de pratique professionnelle (NPP) des évaluateurs agréés, applicables au domaine de l’évaluation municipale.

Les modifications les plus significatives, instaurées depuis 1984 quant aux exigences applicables au fichier des nouvelles constructions, sont résumées au tableau suivant :

Changements aux exigences réglementaires et normatives quant au fichier des nouvelles constructions

Année* Nature du changement apporté aux exigences
1984 Nouvelle disposition au règlement numéro 2 exigeant que l’évaluateur procède aux rajustements prévus[6] dans les systèmes de calcul contenus dans le MEFQ (RREF, art. 19).
1988 Mise en vigueur de l’édition métrique du MEFQ (base 1984), stipulant la nécessité de fonder le facteur économique sur un échantillonnage représentatif et suffisant de constructions neuves.
1989 Mise en vigueur des NPP des évaluateurs agréés, comportant notamment l’exigence de motiver adéquatement les rajustements utilisés pour établir le coût de remplacement neuf à la date de l’évaluation (NPP89-Sec. VI, 3.10.2). Aucune mention des données sur les constructions neuves.
1998

Instauration, dans la troisième édition du MEFQ (base 1997), de la notion de « registre des nouvelles constructions » et ajout de consignes détaillées sur l’analyse des prix observés. Alors décrit comme étant permanent, ce registre :

–      est limité aux seules catégories d’immeubles évaluées avec la méthode du coût, y compris les bâtiments de ferme;

–      doit inclure toutes les nouvelles constructions de ces catégories, érigées au moins durant quatre années précédant la date de référence.

2010

Nouvelle appellation de « fichier » (au lieu de registre) des nouvelles constructions dans l’édition modernisée du MEFQ, qui reprend l’ensemble des consignes antérieures, sauf que :

–      le caractère permanent de ce fichier de travail est éliminé;

–      la période devant être couverte par son contenu, au moment de son utilisation, est réduite à trois ans (au lieu de quatre).

2013

Nouvelle NPP en évaluation municipale (Norme 20.1) qui exige des évaluateurs agréés de :

–      tenir continuellement à jour un fichier électronique relatif aux nouvelles constructions de toute catégorie d’immeubles évaluée par la méthode du coût (NPP20.1 – 2.6.1);

–      s’assurer que ce fichier comprenne au moins ce qui est requis aux fins de la détermination du facteur économique, selon les modalités prévues au MEFQ (NPP20.1 – 2.6.1);

–      dresser une documentation explicative démontrant clairement la provenance des rajustements au coût de base utilisés, dont les facteurs économiques (NPP20.1 – 3.2.8.2b).

* Année de mise en vigueur des changements (peut différer de celle de leur publication)

 

Sources de référence utilisées aux fins de la présente capsule

  • L’évaluation foncière pour fins municipales dans la province de Québec – Étude préparée pour la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, Association des estimateurs municipaux du Québec, septembre 1964, pp. 51-52.
  • Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité Gouvernement du Québec, décembre 1965, p. 297.
  • Programme de perfectionnement en évaluation foncière, Session A – Le processus d’évaluation, octobre 1976, pp. VIII-d-1-14 et 34.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition 1976, volume 4-Technique du coût, p. 2-30 / Volume 5, p. 4-17.
  • Le règlement en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la LEF et documents connexes (cahier d’information), Ministère des Affaires municipales, 1977, complément explicatif no IX.
  • Réglementation sur le rôle d’évaluation foncière, Gazette officielle du Québec : 1983-11-09 G.O.2, 4464; 1988-09-21 G.O.2, 4915 ; 1989-06-21 G.O.2, 3144 ; 1994-09-21 G.O.2, 5702; 2010-08-04 G.O.2, 3533.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition 1984, volume 4-Technique du coût, p. 1-3-13 / Volume 5, p. 4-13.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition 1998, volume 4-Méthode du coût, pp. 7.25 à 7.43 / Volume 5, pp. 1-5-19 à 1-5-26 et 2.5.4 à 2.5.16.
  • Évaluation foncière et fiscalité municipale (Bloc EMUN du programme de formation professionnelle), Ordre des évaluateurs agréés du Québec, novembre 2014, p. 50.
  • La nouvelle norme de pratique professionnelle en matière d’évaluation municipale (Norme 20.1) – Cahier du participant, Ordre des évaluateurs agréés du Québec, novembre 2015, p. 14.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition 2018, partie 3E-Évaluation par la méthode du coût, pp. 3E-12 et 13, 93 à 97, 219, 283, 367 et 537.

[1] En 1971, le Québec compte 1 662 municipalités, dont 264 ont le statut de cité ou de ville.

[2] Seul le terme « estimateur » désigne alors les personnes légalement responsables de dresser les rôles d’évaluation foncière des municipalités. Il est remplacé par le terme « évaluateur », introduit à compter de 1972 par la Loi sur l’évaluation foncière.

[3] D’abord proposé par l’Association des estimateurs municipaux du Québec, l’usage généralisé d’un seul manuel d’évaluation est recommandé par la Commission Bélanger, en 1965. On y souligne toutefois qu’en raison des disparités régionales québécoises, les normes contenues à un tel manuel devraient être souples et applicables à des milieux socio-économiques différents.

[4] Les barèmes de coûts unitaires contenus aux volumes 4 et 5 de l’édition 1976 du MEFQ sont établis pour la région de Québec, en date de janvier 1972.

[5] Le facteur économique est aussi désigné par l’appellation « facteur F », aux fins de l’évaluation des bâtiments industriels, commerciaux ou institutionnels selon les éditions 1976 et 1984 du volume 4 du MEFQ. Distinction terminologique inutile puisqu’aucune différence méthodologique n’existe entre les deux, cette seconde appellation est éliminée du MEFQ à compter de 1998. Sa seule justification aurait été le manque d’espace pour inscrire le nom complet de ce paramètre sur les fiches 1.4.1 et 2.4.1.

[6] Instaurée en 1984, l’exigence réglementaire d’utiliser les rajustements prévus MEFQ est ensuite reconduite dans les versions ultérieures du Règlement sur le rôle d’évaluation foncière, édictées en 1992 (art. 11) et en 1994 (art. 8), laquelle est toujours en vigueur.