1.8 Ordonnances relatives aux premiers rôles de nouvelle génération

Présentation et sommaire

Les ordonnances ministérielles émises à compter de 1977 constituent une procédure réglementaire utilisée par le gouvernement du Québec pour obliger toutes les municipalités à dresser ou faire dresser, selon les mêmes étapes et un même échéancier se terminant en 1984, leur premier rôle d’évaluation annuel, aussi appelé « rôle de nouvelle génération ».

Prévue par la Loi sur l’évaluation foncière dès 1972, cette procédure est d’abord appliquée au moyen d’une ordonnance générale, en 1977. Elle est ensuite utilisée jusqu’en 1979 pour viser individuellement chaque corporation de comté. Pour toute municipalité ainsi visée, cela y amorce formellement l’implantation de la réforme administrative de l’évaluation foncière, conjointement avec l’édiction du Règlement numéro 1 et la prescription de la première édition du Manuel d’évaluation foncière du Québec.

Origine des ordonnances relatives aux rôles de nouvelle génération

À diverses reprises au cours des années 50 et 60, une réforme de l’évaluation foncière est recommandée par les commissions d’enquête et réclamée par divers spécialistes, tant professionnels que gouvernementaux. Il est alors démontré qu’une telle réforme est essentielle, préalablement à toute réforme de la fiscalité municipale. En 1972, la mise en vigueur de la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) réalise la partie législative de la réforme ainsi attendue, par le fait que cette loi rassemble, précise et uniformise toutes les dispositions législatives régissant l’évaluation foncière au Québec. Elle jette également les premières bases de la partie administrative de cette réforme, en accordant au ministre des Affaires municipales le pouvoir de :

  • prescrire, par règlement, la forme et le contenu du rôle, ainsi que les méthodes et normes qui doivent servir de guides dans l’établissement de la valeur d’un immeuble (art. 7);
  • déterminer, par ordonnance, pour quels exercices financiers est fait le premier rôle de chaque corporation municipale, dressé conformément au manuel d’évaluation (art. 108).

Cette façon de procéder, inédite en matière d’évaluation foncière, permet au gouvernement d’y imposer rapidement les principes législatifs essentiels, tout en conservant une certaine souplesse[1] quant à l’implantation concrète des nouvelles pratiques inhérentes à la réforme projetée. Au cours des années qui suivent l’adoption de la LEF, certains changements et délais doivent toutefois être consentis à ce niveau :

  • pour les municipalités autres que les cités et villes, la compétence d’évaluation foncière est transférée aux conseils de comté à partir de 1974. Il est alors statué que le ministre ne peut rendre d’ordonnance à l’égard d’une corporation de comté que sur requête de cette dernière (Q. 1973, c. 31, a. 54);
  • la périodicité des rôles « de nouvelle génération », prévue pour être quinquennale depuis 1972, devient annuelle en décembre 1975, alors que la LEF est amendée à cet effet (Q. 1975, c. 68, a. 38);
  • le développement de la première édition du Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ), ainsi que celui des formulaires techniques afférents, s’avèrent plus laborieux qu’initialement prévu et, après une période de rodage, ne sont officiellement complétés et publiés qu’en janvier 1976;
  • la formation des ressources techniques en évaluation municipale demeure au point mort, dans l’attente du futur MEFQ et les cours de niveau collégial en ce domaine ne s’amorcent qu’à l’automne 1976.

Ainsi, en dépit des attentes suscitées par le projet de réforme administrative de l’évaluation foncière, aucune ordonnance n’est émise quant à la confection d’un premier rôle d’évaluation de nouvelle génération au cours des cinq premières années d’application de la LEF, soit de 1972 à 1976. En conséquence, sauf exceptions, aucune municipalité n’a alors le pouvoir de dresser ou de faire dresser un nouveau rôle d’évaluation. Au cours de cette période de transition, tout rôle d’évaluation existant au 31 décembre 1971 :

  • demeure en vigueur jusqu’à l’émission de l’ordonnance ministérielle prévue à l’article 108 de la LEF;
  • doit être tenu à jour et, au besoin, rectifié pour respecter les dispositions de la LEF ayant pris effet le 1er janvier 1972.

L’ordonnance générale

C’est dans ce contexte d’attente de plus de cinq ans que, par un arrêté ministériel du 11 mars 1977, le ministre Guy Tardif rend l’« Ordonnance générale relative au premier rôle d’évaluation annuel fait selon la Loi sur l’évaluation foncière (1971, c. 50) », en vertu du pouvoir que lui confère alors cette loi. Publiée dans la Gazette officielle du Québec le 23 mars 1977, cette ordonnance entre en vigueur le 15 avril suivant.

Bien que qualifiée de « générale », cette ordonnance ministérielle ne s’applique qu’aux municipalités visées de plein droit par l’article 108 de la LEF, soit 263 cités et villes autonomes ou comprises dans une communauté urbaine ou régionale. Les quelque 1 300 autres municipalités locales comprises dans les corporations de comté doivent faire l’objet d’ordonnances particulières, par comté.

Imposant simultanément les mêmes exigences à toutes les municipalités auxquelles elle s’applique, l’ordonnance générale :

  • énumère les 10 principales phases de la confection d’un premier rôle annuel selon la LEF;
  • fixe au 15 novembre 1981 la date ultime à laquelle les éléments graphiques du système d’information doivent être complétés;
  • fixe au 15 novembre 1982 la date ultime à laquelle l’inventaire du milieu doit être complété;
  • désigne 1984 comme l’exercice financier ultime pour lequel le premier rôle annuel selon la LEF doit être fait.

Par un autre arrêté ministériel du 11 mars 1977, le ministre Tardif édicte aussi le « Règlement sur la forme et le contenu du rôle d’évaluation, le procédé administratif de son établissement et les formules propres à cet établissement ». Aussi appelé « Règlement numéro 1 », ce règlement prescrit aux évaluateurs municipaux du Québec d’effectuer les 10 étapes de confection visées par l’ordonnance générale[2], d’utiliser les formulaires fournis par le ministre et de se conformer, à ces fins, aux consignes de l’édition 1976 du MEFQ.

Ensemble, l’ordonnance générale, le Règlement numéro 1 et l’édition 1976 du MEFQ amorcent, formellement et concrètement, la réalisation de la réforme administrative de l’évaluation foncière. Pour assurer le respect de ces exigences, le ministère des Affaires municipales vérifie ensuite systématiquement, de 1977 à 1985, la conformité des principaux fichiers prévus par cette réforme, ainsi que celle de l’échéancier imposé3. Les subventions prévues par le Programme d’aide à l’implantation des rôles d’évaluation sont autorisées à partir des constats ainsi effectués, de même que les retenues d’argent afférentes aux correctifs requis.

Même si la LEF est abrogée et remplacée, à compter du 1er janvier 1980, par la Loi sur la fiscalité municipale, l’ordonnance générale de 1977 continue de s’appliquer par l’effet d’une disposition spécifique de cette loi (LFM, art. 503). Bien qu’aujourd’hui sans objet, cette ordonnance est toujours en vigueur et figure aux Règlements refondus du Québec (R.R.Q. 1981, c. F-2.1, r. 8).

Les ordonnances particulières

L’entrée en vigueur de la LEF, en 1972, s’effectue dans un contexte où le gouvernement provincial privilégie les fusions municipales et exerce une politique de régionalisation des services aux citoyens. Après une tentative infructueuse d’inciter les corporations municipales à se regrouper régionalement et à désigner l’une d’entre elles comme mandataire des travaux d’évaluation foncière, la LEF est amendée pour transférer cette compétence aux conseils de comté à compter de 1974. Ce transfert ne s’applique toutefois pas aux municipalités régies par la Loi des cités et villes, hors des communautés urbaines et régionale. Il est alors statué que le ministre ne rendra d’ordonnance à l’égard d’une corporation de comté que sur requête de cette dernière (L.Q. 1973, c. 31, a. 54), d’où la nécessité d’une intervention individuelle pour chacun des 71 comtés du Québec.

Compte tenu l’ordonnance générale de mars 1977, des attentes créées par le projet de réforme au cours des années précédentes et de l’incitatif que représente le programme d’aide financière qui y est associé, plusieurs corporations de comté demandent rapidement « leur » ordonnance particulière. C’est ainsi que, de juillet à décembre 1977, le ministre Guy Tardif rend 54 ordonnances particulières relatives au premier rôle annuel de corporations de comté ayant fait une demande à cet effet. Les 17 ordonnances restantes sont ensuite édictées en 1978 (12) et en 1979 (5).

Outre le fait qu’elles s’appliquent aux municipalités locales d’un seul comté à la fois, les exigences contenues aux 71 ordonnances particulières rendues de juillet 1977 à décembre 1979 sont identiques entre elles et identiques aussi à celles de l’ordonnance générale de mars 1977. Ainsi, peu importe la date de l’ordonnance à laquelle elles sont assujetties, toutes les municipalités du Québec doivent effectuer les mêmes phases de confection de leur premier rôle annuel de nouvelle génération et, à cette fin, respecter le même échéancier ultime[3].

    Sources de références utilisées aux fins de la présente capsule

    • Journal des débats – Commission permanente des Affaires municipales, Séance du 1971-12-14, Site web de l’Assemblée nationale.
    • Loi sur l’évaluation foncière (Q. 1971, chapitre 50), sanctionnée le 1971-12-23, Site web de l’Assemblée nationale.
    • Directives sur l’évaluation foncière, Me Richard Beaulieu, Municipalité 72, novembre 1972, pp. 8 à 11.
    • Loi modifiant la Loi sur l’évaluation foncière (Q. 1973, c. 31, a. 54), sanctionnée le 1973-07-06, Site web de l’Assemblée nationale.
    • Pas d’ordonnance, pas de rôle quinquennal, Municipalité 74, juillet 1974, p. 5.
    • Rapport du président sortant, Camille R. Godin, Le Faisceau, décembre 1974, pp. 7-8.
    • Loi modifiant de nouveau la Loi sur l’évaluation foncière (Q. 1975, chap. 68, art. 38), Publications du Québec, sanctionnée le 1975-12-19.
    • Ordonnance générale relative au premier rôle d’évaluation annuel, Gazette officielle du Québec, 1977-03-23 G.O.2, 1183.
    • Ordonnances particulières relatives au premier rôle d’évaluation annuel, Gazette officielle du Québec, G.O.2, 1977-09-28 au 1980-03-05.
    • Le règlement en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 et documents connexes (cahier d’information), Ministère des Affaires municipales, 1977.
    • La réforme administrative de l’évaluation foncière (Programme de formation des cadres municipaux), Ministère des Affaires municipales, mars 1977, p. 93.
    • Les avantages de la réforme administrative de l’évaluation foncière, John McKercher é.a., Le Faisceau, juin 1977, p. 7.
    • Pas sur le dos de la réforme de l’évaluation, Municipalité 77, juin 1977, p. 6.
    • Programme d’aide à l’implantation des rôles d’évaluation, Municipalité 77, juin 1977, pp. 3 à 5.
    • La revalorisation du pouvoir municipal – Réflexions soumises par le MAM (Comité conjoint Québec-Municipalités), 1978-07-13, p. 8.
    • Les rôles d’évaluation de la « nouvelle génération », Municipalité 78, septembre 1978, p. 39.
    • Amendements à la Loi sur l’évaluation foncière, Municipalité 79, mars 1979, p. 5.
    • Ordonnance générale relative au premier rôle d’évaluation annuel (R.R.Q. 1981, c. F-2.1, r. 8), Éditeur officiel du Québec.
    • La réforme sur l’évaluation foncière au Québec, son histoire et son bilan évolutif, Yves Lachapelle, Le Faisceau, été 1996, pp. 9-10.
    • Biographie du député Guy Tardif (1935-2005), Site web de l’Assemblée nationale, février 2010.
    • Loi sur la fiscalité municipale (RLRQ, c. F-2.1), articles 503 à 505.1, LégisQuébec (www.legisquebec.gouv.qc.ca), consulté le 2017-04-21.

    [1] Lors des débats de la Commission permanente des affaires municipales, le 14 décembre 1971, le ministre Maurice Tessier indique, à propos du pouvoir d’ordonnance prévu à l’article 108 de la LEF, qu’ « il s’agit d’appliquer la loi avec une certaine souplesse, parce qu’il ne serait pas réaliste de dire que toutes les municipalités devront se conformer, le lendemain de l’Ascension, à toute et chacune des dispositions de la présente loi. Il faut tenir compte du nombre d’évaluateurs qui sont disponibles. Il faut tenir compte du manuel d’évaluation, des règlements qui devront être adoptés. Il y a des priorités, des urgences, à certains endroits ».

    [2] Le cahier d’information intitulé « Le règlement en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 et documents connexes » et diffusé en 1977 par le ministère des Affaires municipales contient également le texte intégral de l’ordonnance générale.

    [3] Pour régulariser quelques situations exceptionnelles, une disposition législative adoptée en 1983 crée l’article 505.1 de la Loi sur la fiscalité municipale et reporte à 1986, l’exercice financier ultime pour lequel un rôle annuel de nouvelle génération doit être fait (L.Q. 1983, c. 57, a. 126). Cette disposition est à nouveau modifiée en 1986 pour reporter cette échéance à l’exercice financier 1988 (L.Q. 1986, c. 34, a. 23).