1.4 Loi des cités et villes et chartes particulières (avant 1972)
Présentation et sommaire
La « Loi des cités et villes » est une loi adoptée en 1876, alors nommée « Acte des clauses générales des corporations de ville », pour favoriser la résolution des problèmes spécifiques aux agglomérations urbaines et uniformiser les dispositions législatives régissant les municipalités de ville. Elle remplace, pour celles-ci, les dispositions antérieurement applicables en vertu du « Code municipal de la Province de Québec », sauf pour les villes de Québec et Montréal, dont les chartes particulières remontant à 1840 sont demeurées en force.
À la fois issue du contenu du Code municipal de 1871 et des besoins d’organisation propres aux villes, dont le nombre et la population connaissent alors une croissance rapide, la Loi des cités et villes rassemble et structure les règles applicables à ce type de municipalité. Au fil des révisions, elle leur accorde divers pouvoirs dans plusieurs domaines d’intérêt local. Elle contient notamment plusieurs dispositions relatives aux pratiques d’évaluation foncière, principalement appliquées par les estimateurs et les conseils municipaux. Mises à jour à plusieurs reprises, ces dispositions connaissent divers changements significatifs jusqu’à leur remplacement, en 1972.
Contexte d’adoption et d’application de la Loi des cités et villes (LCV)
L’essentiel du régime municipal québécois est issu de plusieurs lois adoptées sous le Régime britannique par les autorités successives du Bas-Canada, du Conseil spécial et du Canada Uni. C’est toutefois l’« Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada » de 1855 qui, bien qu’amendé à plusieurs reprises pour s’ajuster aux besoins, met fin à plusieurs tentatives infructueuses d’organisation municipale et constitue la base d’un régime fonctionnel qui s’avérera durable.
En 1867, la promulgation de l’« Acte de l’Amérique du Nord britannique » crée le « Dominion of Canada », une confédération où les pouvoirs publics sont répartis entre un gouvernement central et des provinces. Par cette loi, chaque province acquiert notamment le droit exclusif de légiférer en matière d’institutions municipales sur son territoire. Le Québec applique ce nouveau pouvoir en 1871, par la mise en vigueur du « Code municipal de la Province de Québec » (34 Vict., c. 68), lequel rassemble toutes les dispositions désormais applicables à l’ensemble des municipalités et corporations de comté, sauf à certaines villes précédemment incorporées par loi spéciale. Tous les droits et responsabilités en matière municipale y sont détaillés et codifiés selon une structure à plusieurs niveaux.
D’abord issu des dispositions de 1855 et élaboré avec l’objectif de couvrir les besoins de tout le territoire municipalisé du Québec, le Code municipal de 1871 révèle vite des lacunes quant aux problèmes spécifiques aux agglomérations urbaines, dont le nombre et la population croissent rapidement[1]. Des législations spéciales doivent être adoptées pour créer de nouvelles villes ou pour amender les chartes de celles déjà existantes, tout en leur accordant des pouvoirs de plus en plus larges, dans plusieurs domaines d’intérêt local.
Pour résoudre la difficulté de devoir légiférer à la pièce et pour assurer une meilleure uniformité dans l’avenir, l’« Acte des clauses générales des corporations de ville » (40 Vict., chap. 29) est adopté le 28 décembre 1876 et, sauf exceptions, s’applique à toutes les municipalités de ville, existantes comme futures. Prenant appui sur les expériences précédentes, cette loi reprend de nombreux éléments du Code municipal de 1871 mais renferme aussi plusieurs dispositions spécifiquement adaptées à la gestion des villes.
Lors de sa première refonte, en 1903, cette loi est renommée « Loi des cités et villes » (3 Ed. VII, chap. 38). De façon générale, cette loi refondue étend à toutes les municipalités visées les pouvoirs précédemment accordés aux cités ou villes par charte individuelle. On y prévoit notamment que toute municipalité de village comptant au moins 2 000 habitants peut être constituée en ville et que ce nombre est de 6 000 pour accéder au statut de cité[2].
La LCV est à nouveau refondue en décembre 1922 et la nouvelle loi, portant le même nom, entre en vigueur le 1er juillet 1923 (13 Geo. V, chap. 65) et s’applique aux 107 cités et villes d’alors. Comme pour la précédente, cette révision ajoute aux dispositions existantes divers éléments pertinents tirés des expériences vécues au cours des décennies antérieures. Bien qu’amendées à de nombreuses reprises, les dispositions de cette loi s’appliquent toujours aujourd’hui dans la « Loi sur les cités et villes » (RLRQ, chap. C-19), ainsi renommée en 1977, lors de la refonte des lois publiques générales.
Pratiques d’évaluation foncière sous la Loi des cités et villes
Comme pour de nombreux autres domaines de compétence locale, la LCV contient plusieurs dispositions concernant l’évaluation foncière. Bien que parfois similaires à celles déjà présentes dans le Code municipal de 1871, ces dispositions ne s’appliquent qu’aux municipalités ayant le statut de cité ou de ville. Au fil des diverses refontes et révisions, leur contenu connaît plusieurs changements significatifs, particulièrement au cours des 30 ans qui précèdent leur remplacement par la Loi sur l’évaluation foncière, en 1972.
En 1971, les principales dispositions[3] contenues à la LCV quant aux pratiques d’évaluation foncière figurent à ses articles 485 à 515, sous le titre « s.s. 27. – Des rôles d’évaluation », auxquelles s’ajoutent d’autres règles répertoriées ailleurs dans cette loi (ex. : règles de nomination ou de remplacement des estimateurs, bureau de révision local, usage du rôle, etc..). Afin d’en faciliter la compréhension, elles sont regroupées ci-dessous, selon différents aspects.
Principes applicables aux pratiques d’évaluation foncière et à l’usage du rôle d’évaluation
La LCV énonce certains principes applicables à l’évaluation foncière, notamment à l’effet que :
- est considérée comme propriétaire toute personne possédant un immeuble en son propre nom, à titre de propriétaire, d’usufruitier, de grevé de substitution ou (à compter de 1964) d’une promesse de vente de la couronne (art. 4, par 10°);
- les immeubles imposables dans la municipalité comprennent les terrains, les constructions et les usines qui y sont érigées et toutes améliorations qui y ont été faites, de même que les machineries et accessoires qui sont immeubles par destination, sous réserve de décision différente du conseil municipal (art. 488, al. 1);
- la valeur réelle du tout est portée au rôle d’évaluation au nom du propriétaire du fonds, sauf pour les machineries et accessoires dont il est prouvé qu’ils appartiennent à un tiers (art. 488, al. 1);
- la valeur annuelle des immeubles dans lesquels s’exercent les activités et moyens de profit ou d’existence sert de base à l’imposition d’une taxe appelée « taxe d’affaires » (art. 527).
Tâches et responsabilités des estimateurs[4]
La LCV impose diverses exigences et obligations aux estimateurs de chaque ville, notamment à l’effet que ceux-ci :
- doivent respecter les conditions requises pour occuper une charge municipale. Avant 1923, chacun doit être propriétaire, « en son nom ou celui de sa femme, de biens-fonds d’une valeur d’au moins 800 piastres, d’après le rôle d’évaluation en force » (ancien art. 177);
- peuvent requérir, aux frais de la municipalité, les services du greffier ou de tout autre personne lettrée (nommé « écrivain » avant 1923) dans l’accomplissement de leurs devoirs (art. 107);
- doivent, chaque année selon les ordres du conseil, faire l’évaluation des biens imposables de la municipalité, suivant leur valeur réelle (art. 485, al. 1);
- doivent faire pareillement l’estimation de la valeur annuelle des biens imposables et l’inscrire au rôle dans une colonne distincte (art. 485, al. 3);
- doivent évaluer séparément chaque lot dont la subdivision est enregistrée (art. 533, al. 2);
- peuvent visiter et examiner, entre dix heures de l’avant-midi et cinq heures de l’après-midi, sauf les dimanches et jours fériés, toute propriété immobilière, y compris l’intérieur ou l’extérieur des maisons, bâtiments ou édifices quelconques (art. 493 – à compter de 1958);
- doivent inscrire au rôle les noms des locataires et le montant du loyer annuel payé par chacun d’eux, sauf s’il n’en représente pas la valeur annuelle véritable, auquel cas cette dernière doit être portée au rôle à la place (art. 485, al. 4 et 5);
- peuvent entrer au rôle un immeuble qui y a été omis, mais pour au plus trois années d’arrérages. Ils doivent, dans ce cas, évaluer ledit immeuble en se basant sur l’évaluation municipale pour chaque année desdits arrérages (art. 486, al. 1);
- doivent inscrire dans le rôle tous les autres renseignements demandés par le conseil (art. 487, al. 1);
- doivent signer, par au moins deux d’entre eux, le rôle d’évaluation qu’ils ont dressé ou fait dresser, ainsi que le greffier et toute autre personne employée comme secrétaire (art. 494, al. 1);
- doivent déposer le rôle au bureau du conseil, aussitôt après sa confection (art. 494, al. 2);
- doivent, sur ordre du conseil, augmenter l’estimation de la valeur réelle de quelque propriété immobilière qui acquiert une augmentation de valeur par le fait de nouvelles constructions, additions ou améliorations, ou de subdivisions en lots à bâtir de terres en culture (art. 500, al. 1 – à compter de 1956);
- doivent, sur ordre du conseil, réduire l’estimation de la valeur réelle de quelque propriété immobilière qui subit une diminution de valeur par suite d’incendie, de démolition ou de quelque autre cause (art. 500, al. 1 – à compter de 1956).
Droits et obligations du conseil municipal
Bien qu’elle confie aux estimateurs diverses responsabilités d’exécution en matière d’évaluation foncière, la LCV place cette discipline sous la gouverne des autorités locales, lesquelles y ont un pouvoir d’intervention assez étendu, notamment quant à la révision du rôle et à sa tenue à jour. Le tableau présenté ci-dessous détaille les divers droits et obligations, en ce domaine, de chaque conseil de ville et de son greffier.
Droits et obligations du conseil (ou du greffier) et source législative (LCV en vigueur en 1971) | Quand? |
Doit nommer au moins trois estimateurs, fixer leurs émoluments, déterminer le partage de leur travail et désigner celui d’entre eux qui doit agir comme président (art. 106) | Chaque année |
Peut, après l’institution d’un bureau de révision du rôle d’évaluation, nommer un estimateur permanent, doté des mêmes pouvoirs et devoirs que les précédents, ainsi qu’un suppléant au cas où il serait dans l’incapacité d’agir (art. 106a – à compter de 1964) | n. a. |
Peut, sur approbation du ministre, constituer un bureau de révision composé de trois membres nommés par le conseil et chargé d’exercer les pouvoirs de confection et de révision du rôle (art. 484 – à compter de 1961) | Chaque année |
Peut dispenser les estimateurs de faire un rôle plus souvent que tous les trois ans (art. 485, al. 2) | n. a. |
Peut ordonner que le rôle d’évaluation soit composé de fiches ou feuilles mobiles, à condition que chacune d’elles comporte l’attestation de l’année de confection du rôle, même si aucun changement ne leur est apporté lors de cette confection (art. 485, al. 7 – à compter de 1959) | n. a. |
Peut décréter que les machineries et accessoires qui sont immeubles par destination ne sont pas des immeubles imposables dans la municipalité ou qu’ils le sont à une fraction de leur valeur (art. 488, al. 2 – à compter de 1959) | n. a. |
Peut imposer une taxe appelée « taxe d’affaires » n’excédant pas 10% de la valeur annuelle des immeubles dans lesquels s’exercent les commerces, manufactures, affaires, professions et autres moyens de profit ou d’existence (art. 527) | n. a. |
Peut maintenir, pendant au plus cinq ans, l’évaluation d’une maison en cours de réparation ou de reconstruction, sauf si ces travaux y augmentent le nombre de logements (art. 489) | n. a. |
(Greffier) Doit donner un avis public du dépôt du rôle et qu’il restera ouvert à l’examen des intéressés durant les 30 jours qui suivent celui du dépôt (art 494, al. 2 et 3) | Dans les deux jours du dépôt |
Doit prendre en considération et juger les plaintes produites, après avoir entendu les parties et leurs témoins sous serment, ainsi que les estimateurs, s’ils désirent être entendus. Peut maintenir ou modifier le rôle selon ce qu’il lui paraît juste (art. 496, al. 1 et 2) | Après l’expiration du délai de 30 jours |
Peut réviser l’évaluation d’une propriété sans qu’une plainte ait été déposée, à condition d’en donner avis d’au moins huit jours au propriétaire pour lui permettre de se faire entendre (art. 497, al. 4 – à compter de 1949) | n. a. |
Doit procéder, qu’il y ait des plaintes ou non, à la révision du rôle et à son homologation. Le rôle ainsi homologué reste en force jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouveau rôle (art 497, al. 1 et 498, al. 1) | n. a. |
Doit réviser ou faire réviser le rôle reconduit pour une deuxième ou une troisième année, avec les mêmes avis et délais que pour la révision suivant sa confection (art. 485, al. 2) | Chaque année |
(Greffier) Doit corriger le rôle en vigueur en conséquence de chaque mutation de propriété d’un immeuble ainsi que, sur preuve suffisante, pour tenir compte des changements de locataires (art. 502) | Sur avis du bureau d’enregistrement |
Peut établir la valeur locative de toute nouvelle construction et modifier en conséquence, pour le reste de l’année en cours, le montant des taxes imposées sur cette propriété (art. 500, al. 1 – à compter de 1956) | n. a. |
(Greffier) Doit transmettre au ministre, sous peine d’amende, un état indiquant, pour l’année civile précédente, la valeur estimée des biens-fonds imposables, ainsi que celle des biens-fonds non imposables (art. 91 et 90, par. 2° et 3°) | En mars de chaque année |
Droits et obligations des contribuables
La LCV prévoit également des droits et obligations pour les contribuables quant aux activités de confection et de révision du rôle d’évaluation. Le tableau suivant en résume le contenu :
Droits et obligations des contribuables et source législative (LCV en vigueur en 1971) | Quand? |
Doivent répondre correctement aux questions des estimateurs et donner tous les renseignements possibles et nécessaires, sous peine d’une amende d’au moins huit dollars et d’au plus vingt dollars ou d’un emprisonnement d’au plus un mois (art. 492, al. 1 et 2) | n. a. |
Peuvent en appeler du rôle préparé, au conseil ou au bureau de révision, en donnant à cette fin un avis écrit contenant les motifs de sa plainte et, s’ils allèguent que l’évaluation trop élevée, en mentionnant le montant de l’évaluation qu’ils reconnaissent juste (art. 495) | Dans les 30 jours du dépôt du rôle |
Peuvent porter plainte et en appeler de la décision du conseil, en la manière ordinaire, quant aux estimations augmentées ou diminuées sur ordre de celui-ci (art. 500 – à compter de 1956) | n. a. |
Peuvent contester le montant d’évaluation d’un immeuble omis et porté au rôle rétroactivement (art. 486, al. 3) | n. a. |
Peuvent appeler à la Cour de magistrat[5] de toute décision, sur plainte ou autrement, rendue par le conseil ou par le bureau de révision (art. 504, par. 1°) | Dans les 30 jours de la décision |
Peuvent appeler à la Cour de magistrat du refus ou de la négligence du conseil ou du bureau de révision de prendre en considération une plainte écrite conforme (art. 504, par. 2°) | Dans les 30 jours de la séance visée |
La Cour de magistrat peut confirmer la décision qui fait l’objet de l’appel, l’annuler ou la modifier, ou ordonner au conseil ou au bureau de révision d’exercer ses attributions (art. 510). Elle ne peut toutefois infirmer la décision contestée que « dans le cas où une injustice réelle à été commise et nullement à cause d’une variante ou d’une irrégularité de peu d’importance » (art. 511) | n. a. |
Exceptions à l’application de la LCV : Québec et Montréal
Applicable à toutes les municipalités de ville d’alors, l’« Acte des clauses générales des corporations de ville » adopté en 1876 par le parlement provincial, ne s’applique toutefois pas aux villes de Québec et de Montréal. Incorporées par le Parlement du Canada en 1840, alors que les provinces n’existent pas encore, ces deux villes disposent chacune d’une charte qui leur confère des pouvoirs et des responsabilités distincts de ceux des autres villes du Québec.
En matière d’évaluation et d’imposition foncière, Québec et Montréal sont les premières à disposer de pouvoirs que leur confère la « loi des chemins et des ponts » de 1796. Adoptée sous le Régime britannique pour structurer la planification et l’exécution des travaux de voirie dans tout le Bas-Canada, cette loi confie notamment aux juges de paix de ces deux villes le pouvoir de :
- nommer chaque année des cotiseurs chargés de faire ensemble une estimation de la valeur annuelle (revenu d’une année) de toutes les terres, emplacements, maisons et bâtiments assujettis à la cotisation;
- déterminer la somme à être payée par tout occupant du bien-fonds ainsi estimé, suivant le taux de cotisation fixé pour l’année;
- disposer, à titre final et décisif en séance publique, des appels à l’encontre de la cotisation établie.
Pendant plusieurs années ensuite, ces pouvoirs – particuliers à ces 2 villes mais inclus dans une loi générale – continuent de s’appliquer. En 1832, les lois d’incorporation temporaire des cités de Québec (1 Guill. IV, c. 52) et de Montréal (1 Guill. IV, c. 54), s’en tiennent à transférer au conseil de ville, les responsabilités antérieurement dévolues aux juges de paix. Il en est de même en 1840, dans les lois d’incorporation définitive de ces deux villes (4 Vict. c. 35 et c. 36).
Refondue en 1865 et en 1929, la charte de la ville de Québec (CVQ) est ensuite souvent amendée pour s’adapter aux réalités qui lui sont propres. Il en est de même pour celle de la ville de Montréal (CVM), refondue à six reprises entre 1845 et 1960. Ainsi, jusqu’à la création des communautés urbaines en 1969, les dispositions relatives aux pratiques d’évaluation foncière et contenues dans ces deux chartes représentent d’abord un amalgame de celles provenant du Code municipal et de la LCV. Elles renferment aussi des règles d’application plus élaborées, entre autres quant au processus de tenue à jour des rôles et à celui de traitement des plaintes.
Ces dispositions se distinguent significativement, en 1960, de celles applicables dans les autres villes québécoises, d’abord par des mesures communes aux villes de Québec et Montréal, notamment quant à :
- la création – par la loi – d’un service permanent d’estimation, dirigé par un chef de service[6] (CVQ art. 194 / CVM art. 162);
- l’obligation de dresser, tous les trois ans, un nouveau rôle d’évaluation pour chaque quartier, avant le 1er mars à Québec (CVQ art. 200) et avant le 1er décembre à Montréal (CVM art. 818);
- l’obligation de dresser, chaque année et par quartier, un rôle de perception des taxes personnelles comprenant notamment la valeur locative de tout immeuble ou partie d’immeuble occupé ou susceptible de l’être, pour le 1er septembre à Québec (CVQ art. 201) et le 15 juillet à Montréal (CVM art. 849);
- l’obligation d’évaluer chaque lot séparément, sauf si un bâtiment est érigé sur plusieurs ou s’ils ne forment qu’une seule exploitation (CVQ art. 200, al. 2, par. 1° / CVM art. 818, al. 2b);
- l’exigence faite aux propriétaires de fournir, sous peine d’amende, aux estimateurs qui le demandent, la liste des locataires ou occupants et des sommes versées comme loyer (CVQ art. 210 / CVM art. 824, al. 2);
- la prise en charge par le service des estimations (au lieu du conseil ou du greffier) des réévaluations, changements et corrections à apporter au rôle pendant qu’il est en vigueur, à la suite de transferts de propriété, subdivisions, constructions, destructions, etc. (CVQ art. 200, al. 4-5-6 et 201a, al. 2-3 / CVM art. 818, al. 1-2 et 825, al. 3);
- la création – par la loi – d’un bureau de révision local permanent, chargé d’entendre les plaintes relatives aux rôles d’évaluation ou de valeur locative et de rendre une décision, à l’effet d’augmenter, maintenir ou réduire la valeur réelle ou locative visée (CVQ art. 214 / CVM art. 858 et 866);
- la possibilité pour le service des estimations de soumettre toute évaluation à l’examen du bureau de révision pour en obtenir une décision, même en absence de plainte (CVQ art. 214, al. 20 / CVM art. 864);
- l’exigence que les décisions du bureau de révision soient transmises au service des estimations au moyen d’un « certificat d’estimation» signé par le président et motivant sommairement toute valeur refaite ou modifiée (CVQ art. 214, al. 19 et 21 / CVM art. 872).
De façon plus particulière, la Charte de la ville de Québec prévoit notamment, en 1960, que :
- les estimateurs[7] doivent prendre pour base de leur évaluation la valeur réelle de chaque immeuble au moment de l’estimation (art. 212, al. 1);
- la valeur réelle des terrains est établie selon leur « valeur courante » et celle des bâtiments est déterminée par leur « valeur intrinsèque ou de remplacement, en tenant compte de la dépréciation » et des rendements de la propriété (art. 212, al. 2);
- des pouvoirs accrus au bureau de révision lui permettant notamment de déterminer la façon de procéder des estimateurs (formulaires, documents, « livres » à utiliser, renseignements à recueillir, etc.), de les faire comparaître devant lui, de modifier et d’autoriser toute estimation faite dans le cadre de la tenue à jour du rôle (art. 201a et 214, al. 12-13);
- les estimateurs peuvent adresser une requête à la cour pour corriger des erreurs ou omissions pour l’année courante et ce, pour jusqu’à quatre années précédentes (art. 225 et 227).
Par ailleurs, à la même époque, la charte de la ville de Montréal contient d’autres particularités, entre autres à l’effet que :
- le rôle doit contenir séparément la valeur réelle des lots et des bâtiments qui s’y trouvent et identifier les immeubles le long desquels la ville entretient un trottoir ou une ruelle publique (art. 818, al. 2c, 2h et 2i);
- à chacune des deux années suivant le dépôt du rôle, un rôle supplémentaire doit être dressé puis tenu à jour pour les immeubles ayant changé de propriétaire, ainsi que pour ceux visés par des changements résultant de subdivisions, constructions, destructions, etc. (art. 820 et 827, al. 1);
- les changements au rôle découlant de subdivisions, construction, destruction ou modifications aux bâtiments peuvent s’appliquer à l’exercice financier précédent (art. 827, al. 3), alors que ceux découlant d’une omission totale ou partielle peuvent rétroagir jusqu’à trois exercices précédents (art. 829, al. 3);
- les normes de valeur adoptées pour dresser le rôle doivent servir par la suite jusqu’au dépôt d’un nouveau rôle, pour toute entrée à ce rôle et pour les rôles supplémentaires (art. 168). La valeur d’un immeuble omis du rôle doit être basée sur les normes appliquées au temps où l’estimation aurait dû être faite (art. 829, al. 5);
- le service des estimations reçoit toute plainte légalement produite dans les délais fixés et les transmet au bureau de révision (art. 854), sauf pour celles portant sur une valeur locative de 1 000$ ou moins, dont il peut disposer par certificat signé (art. 857a).
Lacunes des pratiques d’évaluation foncière sous la Loi des cités et villes
Bien que plusieurs ajustements soient apportés, particulièrement au cours des années 50 et 60, aux dispositions de la LCV qui régissent les pratiques d’évaluation foncière (ex. : droits de visite des propriétés, règles de tenue à jour du rôle, bureau de révision local, estimateur permanent, etc.), leur application individuelle par environ 260[8] cités ou villes s’avère, à la longue, peu conciliable avec l’évolution socioéconomique du Québec, en voie de connaître sa « révolution tranquille ».
À partir du milieu des années 1950, divers intervenants réclament une réforme de l’évaluation foncière, à la fois pour raffermir le rendement et la crédibilité de l’impôt foncier, principale source de revenus des municipalités, et pour assurer la fiabilité des données essentielles à la réalisation de réformes fiscales plus larges. À 10 ans d’intervalle, deux commissions d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) font la démonstration de graves lacunes qui nuisent à l’atteinte de ces objectifs. Elles signalent notamment que :
- une grande hétérogénéité caractérise les méthodes d’évaluation qui sont généralement arbitraires ou défectueuses – bien que plus rationnelles dans certaines villes plus importantes – ce qui nuit à la crédibilité de l’impôt foncier perçu sur cette base;
- ce manque d’uniformité tient aussi en partie du fait que plusieurs lois ou chartes particulières régissent différemment l’évaluation foncière, selon les municipalités auxquelles elles s’appliquent;
- les propriétés ne sont pas évaluées à leur pleine valeur réelle malgré que la loi l’exige, ce qui affaiblit le pouvoir d’emprunt des municipalités, leur richesse foncière étant impossible à déterminer adéquatement;
- l’incompréhension, la négligence et la dispersion géographique expliquent le peu d’intérêt pour de la formation spécialisée susceptible d’accroître les compétences techniques des estimateurs;
- l’absence de tout contrôle généralisé sur l’établissement des valeurs favorise le développement de pratiques inappropriées aux effets néfastes tels le favoritisme, une concurrence stérile entre municipalités et l’incompréhension de la part des contribuables;
- cette situation entraîne des injustices intramunicipales (la marge d’erreur favorise les propriétés de grande valeur) et intermunicipales (quotes-parts trop approximatives).
Considérés dans le cadre d’une révision globale de la fiscalité municipale au Québec, ces constats quant aux lacunes des pratiques d’évaluation foncière mènent à une importante réforme de cette discipline, à compter de 1972. Les dispositions de la LCV en cette matière sont alors abrogées et remplacées par celles de la Loi sur l’évaluation foncière.
Sources de référence utilisées aux fins de la présente capsule
- Acte de 1796 sur les chemins et les ponts (36 Geo. III, c. 9), sanctionné le 1796-05-07, https://books.google.ca.
- Acte de 1831 pour incorporer la Cité de Québec (1 Guill. IV, c. 52), sanctionné le 1831-03-21, Statuts Provinciaux Du Bas-Canada, Volume 14, Partie 1, p. 15.
- Ordonnance pour incorporer les cité et ville de Québec (4 Vict., c. 35), sanctionnée le 1840-12-01, Actes et ordonnances révisés du Bas-Canada, pp. 483 à 495, https://books.google.ca.
- Acte des clauses générales des corporations de ville (40 Vict., c. 29), sanctionné le 1876-12-28.
- Rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, Volume III, Tome II, (Thomas Tremblay, prés.), février 1956, pp. 162 à 166 et 190 à 196.
- Charte de la cité de Québec (19 Geo. V, chap. 95) avec amendements au 1960-03-10, Éditeur officiel du Québec, pp. 24, 29, 78 à 95, 106,112.
- Loi révisant et refondant la charte de la cité de Montréal (8-9 Eliz. II, chap. 102), sanctionnée le 1960-03-10, Éditeur officiel du Québec, pp. 47 à 49, 67 à 69, 291 à 315.
- Le régime municipal de la province de Québec, Roger Bussières, ministère des Affaires municipales, 1964, pp. 26 à 30.
- Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (Marcel Bélanger, prés.), gouvernement du Québec, décembre 1965, pp. 17-26, 289-299 et 528.
- Histoire du régime municipal au Québec, Julien Drapeau, ministère des Affaires municipales, 1967-01-18, pp. 20-47.
- Lois et jurisprudence concernant les cités et villes de la province de Québec, Jacques Viau, c.r., Wilson & Lafleur, 1971, pp. 6, 50-51, 56-57, 325 à 356, 377 à 386.
- Étude chronologique de la constitution et du regroupement des municipalités du Québec, Julien Drapeau, Revue Municipalité, novembre 1973.
- Système politique et administratif des municipalités québécoises, Alain Baccigalupo, Éditions Agence d’Arc inc., 1990, pp. 21-22.
- L’évaluation à Montréal, d’hier à aujourd’hui, Guy Geoffrion, Le Faisceau Spécial (Montréal 350 ans), Automne 1992, pp. 5 à 7.
- Bibliothèque et Archives Canada / Confédération /Bas-Canada, https://www.collectionscanada.gc.ca/confederation/023001-2200-f.html, consulté le 2017-01-10.
[1] Alors qu’il n’existe que 6 cités ou villes en 1855, ce nombre est de 14 en 1871 et de 24 en 1881.
[2] À compter de 1903, le statut de cité n’est accessible qu’aux villes ou villages comptant au moins 6 000 habitants et, depuis 1968, la loi ne prévoit plus d’accorder ce statut lors de nouvelles incorporations ou révisions de chartes. Les dernières « cités » sont disparues en 2002, avec leur intégration dans la nouvelle Ville de Montréal.
[3] Sauf indication contraire, le contenu de la présente capsule réfère au texte et aux numéros d’articles de la LCV, telle qu’existante le 31 décembre 1971, soit immédiatement avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’évaluation foncière (LEF).
[4] Alors que le terme « cotiseur » est employé dans les lois adoptées avant 1855 sous le Régime britannique, seul le terme « estimateur » est utilisé dans la LCV pour désigner les personnes légalement responsables de dresser les rôles d’évaluation foncière des municipalités régies par cette loi. Il est ensuite remplacé par le terme « évaluateur », introduit à compter de 1972 par la Loi sur l’évaluation foncière.
[5] La Cour de magistrat de comté ou de district est un type de tribunal de première instance à caractère régional créé en 1869, où le magistrat de district est un avocat qui y siège seul. La Cour qu’il préside n’a de compétence que sur le territoire de la localité ou du comté qui lui est assigné. Outre les demandes de nature personnelle ou mobilière de faible valeur en litige, elle traite aussi les cas de recouvrement ou versement de dîmes, de taxes, de cotisations municipales et scolaires. En 1922, il existe 21 magistrats de district. Ce nombre atteint 66 en 1964. En 1965, la Cour de magistrat est remplacée par la Cour provinciale, laquelle a toutefois juridiction sur l’ensemble du territoire québécois.
[6] À compter de 1954, la Charte de la cité de Montréal (art. 162) désigne le directeur du Service des estimations par « l’estimateur » et utilise cette désignation quant à toute obligation relevant de sa responsabilité. Cette façon de faire est ensuite généralisée, à compter de 1972, par l’emploi du mot « l’évaluateur » dans la Loi sur l’évaluation foncière.
[7] Dans la Charte de la cité de Québec, le terme « estimateur » n’est utilisé que dans quelques articles introduits à compter de 1948, alors que le terme « cotiseur », hérité des lois antérieures à 1855, y est employé partout ailleurs. Pour éviter toute confusion, seul le terme « estimateur » a toutefois été retenu aux fins de la rédaction de la présente capsule.
[8] En 1971, le Québec compte 43 cités et 221 villes, pour un total de 264 municipalités urbaines.