1.7 Normes de pratique professionnelle en évaluation municipale

Présentation et sommaire

Les normes de pratique professionnelle sont un ensemble d’énoncés décrivant les règles de l’art relatives aux actes propres à l’exercice d’une profession. Comme les autres ordres professionnels ayant pour mission de protéger le public, l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ) promeut les normes de pratique qui s’appliquent à ses membres. Connues de tous, ces normes servent de référence à la fois au public, aux évaluateurs agréés, ainsi qu’aux responsables de la surveillance des actes professionnels concernés.

En matière d’évaluation municipale, les façons de faire reconnues durant les années 70 et 80 sont d’abord issues des développements législatifs, réglementaires et méthodologiques qui caractérisent cette période. Cela donne ensuite lieu, en 1989, à l’adoption d’une première norme de pratique destinée à servir de critère à des fins d’inspection professionnelle. Plus tard, la nécessité d’harmonisation avec les normes nord-américaines en vigueur amène, en 1999, l’élaboration de règles à la fois plus détaillées et mieux adaptées aux réalités professionnelles québécoises. Enfin, de nouvelles prescriptions gouvernementales sur la modernisation de l’évaluation foncière amènent l’OEAQ à adopter, en 2013, une norme décrivant plus clairement que jamais les obligations professionnelles en matière d’évaluation municipale.

La première normalisation des « règles de l’art » en évaluation municipale (1972-1989)

Bien que fortement recommandée par la Commission Bélanger dès 1965, puis par le Groupe de travail sur la réforme de la fiscalité et des finances municipales (Rapport Boulet) en 1969, la normalisation des façons de faire en évaluation municipale ne se concrétise pas immédiatement par des normes de pratique professionnelle édictées par la CEAQ[1]. Au cours des décennies 1970 et 1980, les « règles de l’art » uniformisant les pratiques d’évaluation municipale sont plutôt documentées par les apports législatifs, réglementaires et méthodologiques qui caractérisent cette période. Ainsi :

  • la Loi sur l’évaluation foncière (LEF), entrée en vigueur en 1972, uniformise les actes requis des évaluateurs municipaux, avec un niveau de détail supérieur à celui des législations antérieures (Code municipal et Loi sur les cités et villes). La Loi sur la fiscalité municipale (LFM) remplace la LEF en 1980 et consolide cette façon de faire;
  • la publication, en 1974, du volume Principes et concepts généraux en évaluation foncière, constitue le premier ouvrage de référence en langue française sur ce sujet. À caractère général et développé en collaboration avec la CEAQ, il sert notamment de matériel didactique dans les institutions d’enseignement;
  • les documents de support diffusés entre 1975 et 1979 par l’École nationale d’administration publique dans le cadre du programme de perfectionnement sur la réforme administrative tiennent lieu, pendant de nombreuses années ensuite, de guides méthodologiques dans les pratiques des évaluateurs municipaux, sans que leur utilisation ne soit imposée;
  • en 1977, le « Règlement numéro 1» sur les rôles de nouvelle génération prescrit les étapes du processus administratif de confection de tels rôles ainsi que les formulaires à utiliser à cette fin en conformité avec les consignes du Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ). À partir de 1984, le « Règlement numéro 2 sur la continuité des rôles » reprend les mêmes prescriptions avec plusieurs dispositions visant notamment à assurer la pérennité de la documentation produite antérieurement.

De 1977 à 1985, le ministère des Affaires municipales (MAM) vérifie systématiquement la réalisation des travaux prescrits, afin d’assurer le suivi de l’implantation de la réforme et une gestion responsable du programme d’aide financière qui y est associé. Bien que ne comportant pas de jugement sur l’aspect professionnel des travaux, cette surveillance administrative représente un encadrement jugé suffisant à cette époque.

Les normes de pratique des évaluateurs agréés – Version 1989

En 1986, la CPEAQ1 commence à exercer avec plus de vigueur son pouvoir de surveillance de l’exercice de la profession d’évaluateur agréé et forme à cette fin un Comité d’inspection professionnelle, mandaté pour agir plus strictement. Après quelques mois d’activité, ce comité constate qu’il ne peut exécuter adéquatement son mandat, en raison de l’absence de normes de pratique écrites et connues de tous.

 

Au terme d’une large consultation des évaluateurs agréés œuvrant dans tous les domaines, les premières normes de pratique sont ensuite adoptées par l’OEAQ. Le guide distribué à ce sujet en juillet 1989 à tous les évaluateurs agréés vise à devenir la référence publique sur les règles de l’art de cette profession, notamment aux fins de la promotion de l’excellence et de l’inspection professionnelle à être effectuée. Les normes qui y sont énoncées forment deux ensembles :

  • les règles générales (21 règles, dont certaines avec des sous ensembles) exposent des exigences quant aux connaissances, à l’expérience, aux réalisations et aux communications de l’évaluateur agréé;
  • les normes spécifiques aux champs de pratique de la profession formulent des exigences supplémentaires quant à l’évaluation pour fins d’expropriation, pour fins agricoles, de financement hypothécaire, d’assurances et d’évaluation municipale.

De loin la plus élaborée des normes spécifiques, la section VI de la norme de 1989 concerne l’évaluation foncière municipale. Elle comporte l’essentiel des obligations et étapes alors prescrites par le « Règlement numéro 2 sur la continuité des rôles » quant à la confection du rôle et à sa continuité. Elle énonce aussi d’autres exigences concernant notamment :

  •  la responsabilité globale de l’évaluateur agréé signataire de rôle quant à l’ensemble des actes posés (par lui-même ou tout collaborateur) dans le cadre de la confection du rôle et de sa tenue à jour;
  • la présentation d’une expertise devant un tribunal, en matière d’évaluation municipale;
  • l’interdiction de fixer des honoraires fondés exclusivement sur l’économie de taxes résultant d’une contestation.

La norme de 1989 relative à l’évaluation foncière municipale demeure en vigueur jusqu’à son remplacement, le 1er janvier 1999. Elle ne fait l’objet d’aucune modification durant cette période et sert efficacement de critère de référence aux fins des inspections professionnelles effectuées durant cette période par l’OEAQ, dans ce champ de pratique.

Les normes de pratique professionnelle des évaluateurs agréés – Version 1999 (USPAP)

En 1994, l’OEAQ confie à son nouveau Comité des affaires légales le mandat de réviser les normes de pratique en évaluation pour les harmoniser avec celles alors imposées dans ce domaine aux États-Unis et ailleurs au Canada : les « Uniform Standards of Professional Appraisal Practice » (USPAP)[2].

En mai 1998, le Bureau de direction de l’OEAQ adopte une première partie des normes de pratique professionnelles résultant de cette révision. Respectant à la fois les principes des USPAP et le contexte législatif distinct du Québec, les normes ainsi révisées ont notamment pour caractéristiques :

  • de distinguer la substance de chaque acte professionnel visé (processus intellectuel) et la façon d’en rapporter les résultats (processus matériel), créant ainsi un ensemble de deux normes connexes pour chaque champ de pratique concerné;
  • d’énoncer distinctement des règles coercitives (ne pouvant être transgressées), de simples directives (non obligatoires), ainsi que des explications visant à faciliter la compréhension et à limiter les interprétations;
  • d’être rédigées selon un vocabulaire conforme à la doctrine et à la jurisprudence de langue française.

Pour favoriser l’appropriation des nouvelles normes par ses membres, l’OEAQ produit et distribue, en août 1998, un cartable intitulé Guide de pratique professionnelle. Celui-ci inclut, au départ, les normes déjà adoptées (1-2, 19-20 et 21-22), les annexes afférentes, de même que les règlements de l’OEAQ alors en vigueur. Il est fourni à chacun pour qu’il y consigne ensuite tout ajout ou modification à être ultérieurement apporté.

Le 1er janvier 1999, les normes 1-2 encadrant la pratique générale de l’évaluation entrent en vigueur et remplacent, à compter de cette date, la section I des normes de 1989. Il en est de même pour les normes 19-20, relatives à l’évaluation municipale, qui remplacent la section VI des normes antérieures. De plus, les normes 21-22, désormais distinctes quant à l’évaluation aux fins de recours, entrent également en vigueur à cette date. Le 1er janvier 2000, les normes révisées 3-4 (acte d’examen d’un rapport), 5-6 (acte de consultation), 7-8 (évaluation d’un bien meuble corporel) et 9-10 (évaluation d’entreprise) entrent aussi en vigueur. Le 1er janvier 2001, il en est de même pour les normes 11-12 (expropriation) et 13-14 (assurances).

 

Bien qu’adaptées à la structure des USPAP, les normes 19-20 relatives à l’évaluation municipale ne bénéficient pas d’un apport significatif de contenu provenant des normes américaines, compte tenu que ces dernières ne traitent l’évaluation de masse que de façon très générale. L’adaptation effectuée provient davantage des changements survenus, entre 1989 et 1998, dans les dispositions de la LFM et du Règlement sur le rôle d’évaluation foncière (RREF). Entre autres, par rapport aux normes de 1989, ces deux normes révisées :

  • distinguent la date de référence et le moment de l’évaluation ;
  • respectent la structure du processus de confection et de tenue à jour du rôle prévu au RREF et décrit, depuis 1994, au volume 2 du MEFQ ;
  • incorporent les obligations, introduites en 1997 dans la LFM, quant à la révision administrative de l’évaluation.

En 2007, les normes 19-20 sont amendées à la suite d’échanges avec les responsables des services d’évaluation des grandes villes, pour permettre, dans certaines conditions, de n’appliquer qu’une seule méthode d’évaluation. Il est toutefois retenu, en 2008, de surseoir à la mise en vigueur de ce changement, compte tenu de l’imminence de la modernisation de la réglementation provinciale.

Depuis 1999, les normes19-20 ne font l’objet d’aucune autre modification et servent efficacement de critère de référence aux fins des inspections professionnelles effectuées par l’OEAQ en matière d’évaluation municipale.

Outre l’introduction de modalités transitoires de passage à l’application de la norme 20.1 à compter de 2016, les normes 19-20 de 1999 demeurent en vigueur, pour les cas où elles s’appliquent encore.

La norme de pratique « modernisée » en évaluation municipale – Norme 20.1 de 2013

Afin de refléter les prescriptions gouvernementales de 2010 sur la modernisation de l’évaluation foncière, le conseil d’administration de l’Ordre adopte, le 31 janvier 2013, une nouvelle norme de pratique en matière d’évaluation municipale. Résultant des travaux de recherche, d’analyse et de révision effectués par un comité de spécialistes de cette discipline, l’adoption de cette nouvelle norme a notamment pour buts :

  • d’identifier clairement les obligations professionnelles de l’évaluateur en matière d’évaluation municipale;
  • d’uniformiser la terminologie entre les normes et les textes modernisés du RREF et du MEFQ;
  • de servir aux donneurs d’ouvrage (villes, MRC, etc.) pour établir les obligations de l’évaluateur lors de la rédaction d’appels d’offres.

La norme 20.1 de 2013 est formée d’un ensemble d’énoncés numérotés distinctement et structurés, tout comme l’édition modernisée du MEFQ, selon l’ordre du processus de confection et de tenue à jour prescrit par la réglementation provinciale. Elle détaille ainsi l’ensemble des éléments retenus pour décrire les obligations professionnelles applicables aux évaluateurs agréés œuvrant en matière d’évaluation foncière municipale au Québec. Outre la prise en compte des changements méthodologiques et normatifs caractérisant la modernisation du RREF et du MEFQ, elle apporte plusieurs innovations significatives, telles :

  • l’obligation d’avoir accès aux ouvrages de référence reconnus;
  • l’obligation de pouvoir expliquer clairement les principales prescriptions;
  • la définition des actes visés par la vérification de l’exactitude des renseignements descriptifs;
  • l’obligation de tenir à jour un fichier des nouvelles constructions;
  • l’obligation que toute analyse ou décision identifie l’évaluateur agréé qui en est l’auteur ou qui en a vérifié la réalisation.

Bien que la norme 20.1 entre en vigueur le jour de son adoption, le 31 janvier 2013, elle ne prend effet qu’à l’égard de la confection de tout rôle d’évaluation entrant en vigueur le 1er janvier 2016 ou après, ce qui s’harmonise à l’échéancier d’application du RREF « modernisé ». De plus, tout acte professionnel antérieur au 31 janvier 2013 est réputé conforme à la norme 20.1, s’il respectait les exigences législatives, règlementaires et normatives qui s’y appliquaient lorsqu’il a été posé. Enfin, les normes 19-20 continuent d’avoir effet quant à tout rôle entrant en vigueur avant 2016, pour les cas où elles sont encore applicables.

Les normes régissant l’analyse préliminaire aux fins de révision – Normes 20.2 et 20.3 de 2019

À compter de 2019, de nouvelles normes de pratique s’ajoutent pour encadrer les services professionnels de vérification de la valeur d’un immeuble aux fins de révision du rôle d’évaluation municipale. Les normes 20.2 et 20.3 instaurent des règles régissant le travail de consultation de l’évaluateur agréé qui précède un éventuel recours judiciaire. Elles concernent principalement les obligations :

  • d’informer le client du processus de révision de valeur réelle (demande de révision administrative et recours devant le tribunal);
  • de recueillir les données pertinentes sur l’immeuble concerné (visite, données physiques, économiques, droits réels visés, environnement, etc.) ;
  • de procéder à une analyse préliminaire de la valeur réelle;
  • d’échanger avec le client de façon qu’il puisse prendre une décision éclairée sur la suite à donner;
  • de pouvoir fournir à l’évaluateur municipal l’attestation du mandat de vérification obtenu et de l’application conforme des normes de l’OEAQ en cette matière.

Sources de référence relatives à la présente capsule

  • Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (Marcel Bélanger, prés.), gouvernement du Québec, décembre 1965, pp. 297-298.
  • L’évaluation des biens-fonds, Première tranche du rapport du Groupe de travail sur la réforme de la fiscalité et des finances municipales (Albert Boulet, prés.), gouvernement du Québec, septembre 1969, pp. 15-16.
  • Lettre-communiqué aux évaluateurs agréés, Jean-Guy Kirouac É.A., 1989-07-20.
  • Les normes de pratique des évaluateurs agréés – Guide, Corporation professionnelle des évaluateurs agréés du Québec, juillet 1989.
  • Message du président – La surveillance stricte de la profession, Jean-Guy Kirouac É.A., En Avant-propos, septembre 1989, p. 2.
  • Nouvelles normes de pratique à venir, Mathieu L’Écuyer É.A., Mots d’Ordre, mars 1994, p. 5.
  • Le Bureau de direction adopte les nouvelles normes de pratique professionnelle, Mots d’Ordre, juillet 1998, p. 3.
  • Lettre-communiqué aux évaluateurs agréés et stagiaires, Céline Viau, 1998-08-28.
  • Les normes de pratique professionnelle : nouvelles règles de conduite, René Cloutier É.A., L’évaluateur agréé Ad Hoc No 10, novembre 1998, pp. 38-39.
  • Rapport annuel, Ordre des évaluateurs agréés du Québec, 2005-2006, p. 17 ; 2006-2007, p. 7 ; 2007-2008, p. 8.
  • Une nouvelle norme de pratique en évaluation municipale, AlinÉA, mars 2013, p. 8.
  • Flash actualités en évaluation municipale, Richard Côté É.A. et Christiane Guimond, É.A., mai 2013, Site web de l’AEMQ (www.aemq.qc.ca/Documentation/Conférences).
  • La nouvelle norme de pratique professionnelle en matière d’évaluation municipale (Norme 20.1) – Cahier du participant, Ordre des évaluateurs agréés du Québec, novembre 2015, pp. 5-6.
  • Normes de pratique, guides et lignes directrices, Site web de l’OEAQ (oeaq.qc.ca), consulté le 2019-04-18.

[1] Initialement créé en juin 1969 sous le nom de Corporation des évaluateurs agréés du Québec, (CEAQ) cet organisme s’appelle ensuite Corporation professionnelle des évaluateurs agréés du Québec (CPEAQ) à compter du 1er février 1974, par son assujettissement au Code des professions, lequel entre en vigueur à cette date. Ce n’est toutefois qu’à compter de la réforme de cette loi, en juin 1994, qu’il se nomme désormais Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ).

[2] En 1989, l’Appraisal Foundation, organisme sans but lucratif fondé aux États-Unis pour promouvoir l’uniformisation de la pratique et le professionnalisme en évaluation, définit et adopte des normes visant à garantir la qualité et l’uniformité des actes professionnels dans ce domaine. Appelées « Uniform Standards of Professional Appraisal Practice » (USPAP), ces normes sont aussitôt rendues obligatoires par la loi américaine. L’Institut canadien des évaluateurs produit ensuite une adaptation de ces normes et les rend obligatoires pour ses membres à compter du 1er janvier 1994.