1.2 Organisation territoriale et fiscale sous le Régime britannique
Présentation et sommaire
Après plus de 150 ans de développement sous le Régime français, le territoire de la Nouvelle-France est conquis par la Grande-Bretagne et devient une colonie britannique. Bien qu’imprégnée de l’héritage français, l’organisation territoriale, administrative et fiscale poursuit alors son évolution dans le nouveau contexte du Régime britannique.
Entre la conquête de 1760 et l’instauration de la confédération canadienne en 1867, cette évolution s’avère plutôt irrégulière. L’organisation territoriale et fiscale connaît d’abord une longue période de stagnation, à la fois attribuable à la résistance passive des canadiens-français et au contexte sociopolitique de l’Amérique du Nord. Ensuite, la nécessité pressante de financer la construction des chemins et des ponts amène les autorités britanniques à créer des organismes locaux efficaces, dotés du pouvoir de percevoir des taxes foncières à cette fin. C’est ainsi que naît, en premier lieu à Québec et Montréal en 1796, la discipline de l’évaluation foncière municipale au Québec. Enfin, les diverses réorganisations territoriales de la période 1840-1860 conduisent à généraliser l’administration municipale sur deux niveaux : le comté et la municipalité locale. Cela a aussi pour effet d’étendre l’imposition foncière à tout le territoire québécois, comme principal moyen de financement de ces organismes, donnant ainsi lieu à la mise en place des premières pratiques généralisées d’évaluation foncière municipale.
La transition dans la stagnation (1760-1791)
Au terme d’affrontements de plusieurs années, la Nouvelle-France est concédée à la Grande-Bretagne en septembre 1760. Le territoire de la colonie passe aussitôt sous le contrôle d’un régime militaire britannique et la cession devient définitive par la conclusion du Traité de Paris, le 10 février 1763. Portant sur de nombreux territoires situés en Amérique, en Europe et même en Afrique, ce traité de paix met fin aux hostilités entre la France et la Grande-Bretagne, laquelle consolide ainsi son empire à l’échelle mondiale.
Le 7 octobre 1763, le roi Georges III de Grande-Bretagne, édicte une proclamation pour organiser les nouveaux territoires britanniques de l’Amérique du Nord (colonisation, achat de terres, relations avec les amérindiens, etc.). Concernant la Nouvelle-France, cette proclamation royale donne une première constitution au territoire récemment conquis, laquelle vise à « britanniser » rapidement cette nouvelle colonie comptant alors 60 000 citoyens francophones catholiques. À cet effet, cette loi :
- délimite un territoire correspondant environ à la vallée du fleuve Saint-Laurent et nommé « Province of Quebec »;
- introduit l’application des lois anglaises, tant civiles que criminelles, lesquelles ignorent le régime seigneurial existant et font en sorte que les seigneurs doivent cesser de percevoir leurs redevances;
- favorise l’immigration de colons britanniques par l’ouverture de nouvelles terres et la construction d’écoles anglicanes;
- tolère la religion catholique mais retire aux curés le droit de percevoir la dîme auprès de leurs paroissiens.
La proclamation royale de 1763 s’avère presque sans effet sur la population francophone qui, dispersée sur un vaste territoire, continue de s’accroître rapidement et chez qui les traditions issues du Régime français sont biens enracinées. Au fil des ans, le climat rigoureux et l’inhospitalité sociale découragent les immigrants britanniques et, surtout, la révolte gronde contre l’autorité britannique au sein des colonies américaines (qui deviendront les États-Unis, en 1783).
C’est dans ce contexte que l’Acte de Québec[1] est promulgué en juin 1774, principalement pour prévenir un soulèvement des nombreux francophones (alors au nombre de 90 000 pour 2 000 anglophones) et surtout pour éviter que ceux-ci s’allient aux rebelles américains. À cette fin, cette loi :
- redonne aux Canadiens-français le code civil français, restaurant ainsi les droits seigneuriaux, mais en conservant, en droit public, la « common law » et le droit pénal anglais, qui est mois sévère;
- garantit le droit de pratiquer la religion catholique, en reconnaît l’élite dirigeante et redonne le droit au clergé de percevoir la dîme;
- agrandit les limites de la « Province of Quebec » en un vaste territoire qui longe la vallée du fleuve Saint-Laurent, de Terre-Neuve aux Grands Lacs;
Bien qu’accroissant l’hostilité des colons américains, l’Acte de Québec a rapidement l’effet escompté dans la province, où le clergé et les seigneurs prennent parti pour la Grande-Bretagne en soutenant la résistance britannique, lors de la tentative d’envahissement de 1775 par les rebelles américains.
L’indépendance des États-Unis et les conflits l’ayant précédé (1775-1783) amènent ensuite plus de 7 000 colons, désireux de rester fidèles à la couronne britannique (on les nomme « loyalistes »), à s’établir au sud-est du Bas-Canada (Estrie). Forts de leur nombre et de leur loyauté au Roi, ils y réclament de nouvelles terres, des lois civiles anglaises ainsi que des écoles et des églises protestantes. Principalement pour satisfaire ces demandes, le Parlement britannique adopte l’Acte constitutionnel de 1791 (31 Geo. III, c. 31), lequel modifie à nouveau l’organisation territoriale établie en 1774. Cette loi a notamment pour effets de :
- remplacer la « Province of Quebec » par deux provinces distinctes, séparées par la rivière des Outaouais : le Bas-Canada (très francophone) à l’est de la rivière et le Haut-Canada à l’ouest (très anglophone);
- attribuer à chacune une assemblée législative élue, un conseil législatif et un conseil exécutif, ainsi qu’en définir les modalités de fonctionnement, inspirées du parlementarisme britannique;
- instaurer un système de districts administratifs (4 au Bas-Canada) et de comtés électoraux (25 au Bas-Canada);
- maintenir l’application du droit civil français au Bas-Canada, de même que le droit criminel anglais;
- instaurer un nouveau régime de découpage et d’attribution des nouvelles terres.
Le nouveau régime foncier créé par la loi de 1791 impose le modèle cadastral du canton[2], dont l’arpentage produit des lots de forme et de superficie régulière, sans égard aux barrières naturelles (cours d’eau, montagnes, etc.), ce qui diffère des seigneuries issues du Régime français. L’attribution des nouveaux lots est obligatoirement en « franc et commun socage », soit en pleine propriété, libre de toute redevance. De plus, la loi rend cette forme d’attribution possible (facultative) dans les seigneuries existantes. Ce changement débute la régression du régime seigneurial, lequel sera finalement aboli en 1854.
Bien qu’amorçant un changement fondamental dans l’accès individuel au droit de propriété, la loi de 1791 ne fait qu’uniformiser les responsabilités entre les seigneurs (seigneuries) et les leaders (cantons) quant à l’organisation communautaire. Ainsi, pendant encore près de 50 ans, sauf à Québec et Montréal, l’administration locale du Bas-Canada continue de fonctionner sommairement comme sous le Régime français, les citoyens n’ayant pas le besoin de se cotiser pour financer d’autres services communs que ceux fournis par l’organisation territoriale ou religieuse.
Québec et Montréal, berceaux de l’évaluation foncière québécoise (1796-1832)
Contrairement à sa population, passée de 60 000 en 1760 à plus de 160 000 en 1791, le développement du territoire colonisé du Bas-Canada connaît une croissance mitigée, essentiellement concentrée sur les rives du Saint-Laurent et de ses principaux affluents. La concession de nouvelles terres dans « l’arrière pays » se bute partout au manque ou à l’impraticabilité des voies de communication terrestres, pour beaucoup laissées à l’initiative privée, sans véritable souci d’interconnexion. Aussi, une loi sur les chemins et les ponts[3] est adoptée en 1796, afin de structurer la planification et l’exécution des travaux de voirie sur tout le territoire du Bas-Canada. Plus particulièrement, cette loi :
- confie la direction des travaux à un grand-voyer pour chacun des quatre districts, secondé par des sous-voyers et un inspecteur dans chaque paroisse, seigneurie ou canton;
- autorise ceux-ci à imposer des jours de corvée aux citoyens masculins de 18 à 60 ans pour effectuer les travaux retenus ou, à défaut, à leur exiger une taxe fixe, appelée « composition », pour compenser les jours de corvée décrétés;
- autorise les juges de paix des cités de Québec et de Montréal, en cas d’insuffisance des moyens mentionnés ci-dessus, à imposer une cotisation annuelle sur la valeur des biens-fonds.
L’important article LVII de cette loi de 1796, quelque peu amendé en 1799, détaille les diverses règles applicables aux estimations de valeur et aux « cotiseurs » qui doivent les établir. Il y est notamment stipulé que:
- cinq « domiciliés honnêtes » et capables d’être cotiseurs doivent être nommés chaque année par les juges de paix; l’exigence d’être propriétaire s’ajoute à compter de 1799;
- au moins trois cotiseurs doivent faire ensemble une estimation de la valeur annuelle[4] (revenu d’une année) de toutes les terres, emplacements, maisons et bâtiments assujettis à la cotisation;
- ceux-ci doivent spécifier la somme à être payée par tout occupant du bien-fonds ainsi estimé, suivant le taux de cotisation fixé pour l’année par les juges de paix;
- les cotiseurs doivent certifier sous leur « seign et sceau » lesdites estimations et sommes à payer et les délivrer au greffier de la paix du district, dans les deux mois de leur entrée en fonction (à compter de 1799, ce délai est fixé entre le 10 mai et le 10 juin);
- les estimations et cotisations à payer doivent être rendues publiques dans les divisions respectives de chaque juge de paix;
- toute personne peut en appeler, après cette publication, de la cotisation établie aux séances générales de quartier, où l’appel est adjugé à titre final et décisif.

Inspirées des façons de faire déjà en application ailleurs dans l’Empire britannique (dont au Haut-Canada), ces quelques dispositions législatives, adoptées pour financer équitablement les travaux d’infrastructure à Québec et Montréal, donnent naissance aux pratiques québécoises d’évaluation foncière municipale.
Pendant plusieurs années ensuite, ces règles – particulières à ces 2 villes mais incluses dans une loi générale – continuent d’être appliquées et amènent même, en 1829, une intervention législative pour y augmenter à douze (au lieu de cinq) le nombre de cotiseurs (9 Geo. IV, c. 16). En 1832, les lois d’incorporation des cités de Québec (1 Guill. IV, c. 52) et de Montréal (1 Guill. IV, c. 54), s’en tiennent à transférer au Conseil de ville, les responsabilités antérieurement dévolues aux juges de paix.
La réorganisation territoriale et fiscale (1840-1860)
La situation socio-économique du Bas-Canada se détériore dans les premières décennies du 19e siècle : la population (300 000 en 1822) augmente plus rapidement que les ressources disponibles. La traite des fourrures s’épuise et les terres arables, très subdivisées pour accueillir les nouvelles générations de colons, se font plus rares et moins productives. L’immigration américaine et britannique, notamment d’origine militaire (démobilisation ou désertion de soldats), ajoute aux difficultés et accroît les tensions sociales.
De plus, le climat politique s’envenime entre les canadiens-français, de plus en plus insatisfaits du parlementarisme instauré en 1791, et l’administration britannique qui maintient un contrôle autocratique sur ses colonies. En 1837 et 1838, cette contestation dégénère en une rébellion armée, ensuite durement réprimée par les forces militaires britanniques.
Mandaté par les autorités britanniques pour enquêter sur les causes de ce drame et proposer des solutions, lord Durham dépose, en janvier 1839, un rapport sévère à l’endroit des canadiens-français, dont il privilégie l’assimilation. Déplorant vivement l’absence d’institutions municipales au Bas-Canada, il y propose la mise en place d’autorités locales élues, dotées du pouvoir d’imposer des taxes directes pour satisfaire adéquatement les besoins locaux de services communs.
Cette proposition de gestion démocratique locale suscite peu d’intérêt auprès des autorités britanniques, en voie de promulguer l’Acte d’Union[5] et ainsi dissoudre le Conseil spécial qui gouverne le Bas-Canada. Le gouverneur d’alors, lord Sydenham, y est toutefois très favorable. Aussi, pendant qu’il en a encore le pouvoir, il fait adopter, en décembre 1840, deux ordonnances[6] aux effets déterminants pour la suite du régime municipal québécois et de sa fiscalité.
Ordonnances de 1840 : districts régionaux et corporations locales
Un premier changement apporté consiste à constituer en corporation municipale locale tout village, paroisse ou canton comptant au moins – ou atteignant au fil du temps – 300 habitants, donnant ainsi une existence juridique aux territoires déjà définis à des fins religieuses ou d’arpentage, mais aux pouvoirs limités (clôtures, bétail, etc.). De 1841 à 1845, plus de 300 corporations locales sont ainsi créées. Dans chacune d’entre elles, une assemblée annuelle des habitants doit élire un conseiller (deux si plus de 3 000 âmes), ainsi que certains officiers (greffier, inspecteurs, etc.), dont trois cotiseurs, aux tâches non détaillées par la loi.
Un autre changement, plus déterminant encore, consiste à instaurer des districts régionaux, dotés du statut de corporation, avec plus de pouvoirs que les corporations locales. En 1841-1842, 24 districts sont ainsi établis. Plus spécifiquement, chacun d’eux:
- agit par un conseil formé de conseillers élus par chaque corporation locale et présidé par un préfet nommé par le gouverneur;
- dispose de pouvoirs quant à la construction, la préservation et la réparation des bâtiments publics, des chemins, des ponts et autres voies de communication;
- doit défrayer le maintien d’un service de police sur son territoire et sa part du coût de fonctionnement des prisons du district judiciaire dont il fait partie;
- peut imposer des taxes foncières, mobilières ou personnelles aux propriétaires et occupants, pour financer l’exécution de ses responsabilités.
Ces changements sont évidemment très mal reçus par les citoyens, surtout en raison du climat de méfiance découlant des événements violents de 1837-1838 et des lois sévères imposées par la suite. Aucunement initiés à une telle taxation directe, autre que la dîme paroissiale, ils la rejettent « passivement » en n’élisant que des conseillers engagés à n’imposer aucune taxe et, en conséquence, à n’exercer aucun pouvoir.
Loi de 1845 : corporations locales seulement
Constatant l’échec des dispositions précédentes, le gouvernement les remplace par l’Acte pour abroger certaines ordonnances y mentionnées et faire de meilleures dispositions pour l’établissement d’autorités locales et municipales dans le Bas-Canada (8 Vict., c. 40). Entrée en vigueur le 1er juillet 1845 pour une durée de deux ans, cette loi élimine les districts régionaux et en transfère l’essentiel des pouvoirs aux corporations locales, exercés par un conseil de sept membres élus. Cette loi est beaucoup mieux accueillie que la précédente, puisque cette forme d’administration locale s’apparente – et se confond même parfois – à celle des paroisses religieuses déjà en place depuis près de 200 ans.
Abstraction faite des dispositions qui régissent distinctement les villes de Québec et Montréal, la loi de 1845 introduit des éléments nouveaux et pertinents quant à l’évaluation foncière, il y est notamment stipulé que :
- chaque conseil doit nommer trois estimateurs (et non plus des cotiseurs) chargés d’estimer la valeur (et non plus la valeur annuelle) de toute propriété sujette à cotisation (art. XXIV);
- les cotisations doivent être imposées à proportion de la valeur des propriétés imposables (art. XXV), y compris lorsque plusieurs municipalités doivent financer ensemble un même service (art. XXVII).
Loi de 1847 : corporations de comté seulement, hors des villes et villages
Bien qu’accepté par les citoyens, l’exercice des pouvoirs de voirie et de sécurité publique conférés aux 357 corporations locales manque de cohésion et, conséquemment, d’efficacité. Après deux ans, le parlement de la Province unie du Canada remplace la loi de 1845 par l’Acte pour faire de meilleures dispositions pour l’établissement d’autorités municipales dans le Bas-Canada (10-11 Vict., c. 7). Cette loi maintient les municipalités de ville (4) et de village (16) mais, à compter du 1er septembre 1847, elle abolit les 337 municipalités de paroisse et de canton alors existantes. Elle en transfère les pouvoirs et responsabilités à 46 nouvelles corporations de comté, dont le territoire est basé sur le découpage électoral en vigueur et le conseil est formé de conseillers élus dans chaque ancienne municipalité de ce territoire.
En matière d’évaluation et d’imposition foncière, cette loi prévoit notamment pour les corporations de comté :
- de nommer trois estimateurs, désormais distingués des percepteurs, pour chaque ancienne municipalité de paroisse ou de canton (ce qui totalise plus de 1000 estimateurs!) (art. XXV);
- d’exiger de tout estimateur d’être résident du territoire concerné, d’y être qualifié à voter et d’y posséder un bien-fonds de la valeur de 150 livres (art. LXX);
- de faire faire par les estimateurs une évaluation des biens-fonds imposables de la municipalité, une fois tous les 5 ans (art. XXXIII, par. 17);
- de distinguer la notion de « valeur annuelle» des propriétés de celle de « valeur actuelle » à être fixée par l’estimation (art. XXVI).
Loi de 1855 : corporations de comté ET municipalités locales
L’administration « régionale » des corporations de comté reste mal reçue par les citoyens et ne donne pas les résultats attendus, même si cette forme d’organisation favorise l’efficacité des interventions touchant plusieurs collectivités (cours d’eau, routes, ponts, etc.). Après plusieurs retouches législatives infructueuses, la loi de 1847 est finalement remplacée par l’Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada de 1855 (18 Vict. c. 100).
Entrée en vigueur le 1er juillet 1855, cette loi récupère et bonifie le contenu des deux lois précédentes et constitue ainsi la base d’un régime municipal unique qui s’avérera durable. Plus particulièrement, cette loi:
- redonne le statut juridique de corporation municipale aux paroisses et cantons d’au moins 300 habitants (alors au nombre de 394, en plus des 34 villages, cités et villes possédant déjà ce statut); leurs pouvoirs sont plus étendus qu’autrefois et comprennent ceux d’emprunter et de prélever des taxes;
- maintient les corporations de comté basées sur le découpage électoral (alors au nombre de 64), dont le conseil est désormais composé des maires de chaque municipalité locale; en plus des mêmes attributs généraux que les municipalités locales, elles ont des responsabilités exclusives, notamment quant aux palais de justice, aux prisons et aux bureaux d’enregistrement.

Au cours des années suivantes, de nombreux ajustements sont apportés à la loi de 1855, notamment quant aux dispositions régissant la création de nouvelles municipalités, les annexions, les situations géographiques particulières, etc. Son contenu doit même être refondu en 1860, dans un texte plus structuré intitulé Acte municipal du Bas-Canada de 1860 (23 Vict., c. 61), lequel est également amendé à plusieurs reprises jusqu’à son remplacement par le Code municipal de la Province de Québec, en 1871.
L’instauration de pratiques généralisées en évaluation foncière
Tout comme pour d’autres domaines de l’activité municipale, la loi de 1855 s’avère plus explicite quant aux pratiques reliées à l’évaluation foncière. Une section de cette loi, intitulée « Estimateurs et évaluation », rassemble plusieurs dispositions à ce sujet, certaines provenant des lois précédentes et plusieurs autres étant complètement nouvelles. Le tableau présenté ci-dessous dresse un sommaire des dispositions qui instaurent ainsi, à compter de 1855, les premières pratiques généralisées de cette discipline sur le territoire québécois.
Obligations régissant les estimateurs (trois par municipalité)
Description et source de la disposition législative (loi de 1855) | Quand? |
Posséder chacun une qualification foncière égale en valeur à celle requise des conseillers, soit un bien-fonds dans la municipalité d’une valeur de 150 livres (art. XXXII, al. 2) | s. o. |
Prêter chacun le serment de remplir bien et fidèlement les devoirs de sa charge (art. XXXII, al. 2) | Dès sa nomination |
Faire l’évaluation de tous les biens-fonds situés dans la municipalité pour laquelle ils sont nommés, ainsi que des autres biens imposables (art. LXV, par. 1) | Dans les 2 mois de leur nomination |
Peuvent faire ladite évaluation à deux, en l’absence de l’un d’entre eux (art. LXV, par. 1) | s. o. |
Peuvent requérir, dans la confection de ladite évaluation, les services du secrétaire-trésorier ou employer tout autre écrivain qu’ils jugent convenable de choisir (art. LXV, par. 2) | s. o. |
Estimer comme étant une propriété distincte la valeur du commerce ou métier de tout marchand, fabricant, commerçant ou maître ouvrier, d’après les profits annuels moyens des deux années précédentes (art. LXX, par. 1) | s. o. |
Estimer comme étant une propriété distincte la valeur de l’office ou profession de tout juge, fonctionnaire civil, avocat, notaire, médecin, chirurgien, ingénieur civil ou arpenteur résidant dans la municipalité et y remplissant les devoirs de sa charge ou profession (art. LXX, par. 2) | s. o. |
Dresser et signer ou attester un rôle faisant voir les évaluations faites (art. LXV, par. 3) | s. o. |
Spécifier au rôle les noms et la désignation de tous les propriétaires ou occupants de biens-fonds imposables, ainsi que ceux des autres personnes tenues à des corvées (art. LXV, par. 3) | s. o. |
Établir les évaluations au jour où le rôle est transmis (art. LXV, par. 3) | s. o. |
Transmettre le rôle au maire de la municipalité (art. LXV, par. 3) | Dans les 8 jours de sa confection |
Encourir une pénalité de dix chelins (0,5 livre) pour chaque jour de retard (art. LXXV, par. 2) | s. o. |
(Expropriation) Établir et constater par certificat signé la compensation équitable à payer au propriétaire du terrain pris pour construire un chemin ou un autre ouvrage public (art. LII, par. 7) | s. o. |
Obligations régissant chaque conseil municipal
Description et source de la disposition législative (loi de 1855) | Quand? |
Nommer trois estimateurs (art. XXXII, al. 2) | À sa première session générale |
Amender, au besoin, ledit rôle d’évaluation en fixant lui-même à tel chiffre qu’il croit juste et raisonnable, la valeur d’un ou plusieurs biens-fonds dont il est d’opinion que l’évaluation a été faite au dessus ou au dessous de leur vraie valeur (art. LXVIII, par. 2) | Dans les 30 jours de sa transmission |
Donner aux habitants de la municipalité un avis public du jour où commencera la révision dudit rôle d’évaluation (art. LXVIII, par. 3) | Avant la révision |
Entendre, en procédant à la révision du rôle, les parties intéressées ainsi que les estimateurs concernés (art. LXVIII, par. 5) | s. o. |
Remettre au préfet du comté une vraie copie du rôle avec les amendements pouvant avoir été faits par le conseil local (art. LXVIII, par. 7) | Dans les 7 jours du délai de révision |
Répartir également toutes les sommes prélevées sur tous les contribuables à proportion de la valeur des propriétés imposables (art. XV, par. 7) | s. o. |
Limiter tout règlement d’emprunt à 20% de l’évaluation totale des propriétés concernées, suivant les rôles d’évaluation alors existants (art. XV, par. 9) | s. o. |
(Expropriation) Déterminer la part de travaux, matériaux ou argent à fournir par les propriétaires pour construire de nouveaux chemins ou ponts, en tenant compte de la valeur totale des propriétés, constatée par le rôle d’évaluation, et non simplement de leur étendue (art. XLVII, par. 5) | s. o. |
Autres dispositions reliées à l’évaluation foncière
Description et source de la disposition législative (loi de 1855) | Quand? |
Le propriétaire doit payer ou fournir, à raison de la valeur indiquée au rôle, la somme d’argent, la quantité de matériaux ou le nombre de journées de travail qui lui est imposée. À défaut, cela devient une charge ou créance privilégiée primant toute autre (art. LXVII, par. 2) | s. o. |
Le rôle d’évaluation reste en vigueur pendant les 5 années suivant le jour de la nomination des estimateurs qui l’ont fait (art. LXIX) | s. o. |
Sources de référence relatives à la présente capsule
- Acte de 1796 sur les chemins et les ponts (36 Geo. III, c. 9), sanctionné le 1796-05-07, https://books.google.ca.
- Acte de 1799 qui amende l’acte de 1796 sur les chemins et les ponts (39 Geo. III, c. 5), sanctionné le 1799-06-03, https://books.google.ca.
- Acte pour augmenter le nombre des cotiseurs pour les cités de Québec et de Montréal (9 Geo IV, c. 16), 1829-03-14, Statuts provinciaux du Bas-Canada, volume 13, pp. 131-133.
- Acte de 1831 pour incorporer la Cité de Québec (1 Guill. IV, c. 52), sanctionné le 1831-03-21, Statuts Provinciaux Du Bas-Canada, Volume 14, Partie 1, p. 15.
- Memoranda pour l’usage des cotiseurs pour la Cité de Québec, 1833, https://archive.org/details/cihm_62997.
- Ordonnance de 1840 pour pourvoir à la nomination de certains officiers (4 Vict., c. 3), sanctionné le 1840-12-29, https://books.google.ca.
- Acte de 1845 pour abroger certaines ordonnances (8 Vict., c. 40), sanctionné le 1845-03-29, https://books.google.ca.
- Acte de 1847 pour l’établissement d’autorités municipales (10-11 Vict., c. 7), sanctionné le 1847-07-28, https://books.google.ca.
- Acte des municipalités et des chemins de 1855 (18 Vict., c. 100), sanctionné le 1855-05-30, https://books.google.ca.
- Le régime municipal de la province de Québec, Roger Bussières, ministère des Affaires municipales, 1964, pp. 15 à 25.
- Histoire du régime municipal au Québec, Julien Drapeau, ministère des Affaires municipales, 1967-01-18, pp. 20-47.
- Propriété foncière et société à Montréal, Paul-André Linteau et Jean-Claude Robert, Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 28, no 1, juin 1974, pp. 48-50.
- Les premières institutions municipales au Québec ou “machines à taxer”, Jacques L’Heureux, Les Cahiers de droit, vol. 20, n° 1-2, 1979, p. 331-356, http://id.erudit.org/iderudit/042320ar.
- Système politique et administratif des municipalités québécoises, Alain Baccigalupo, Éditions Agence d’Arc inc., 1990, pp. 11 à 20.
- Petite histoire de la fiscalité québécoise, Normand Godbout É.A., Le Faisceau, Printemps 1997, pp. 22-23.
- L’avènement du régime municipal dans le Bas-Canada et dans le comté de Deux-Montagnes, 1840-1855, Jean-Paul Ladouceur, Histoire Québec, vol. 11, n° 3, 2006, p. 10-19, http://id.erudit.org/iderudit/11115ac.
- Histoire du Québec / Le Régime britannique, Wikipédia (https://fr.wikipedia.org), consulté le 2017-01-10.
- Bibliothèque et Archives Canada / Confédération /Bas-Canada, https://www.collectionscanada.gc.ca/confederation, consulté le 2017-01-10.
[1] Sanctionné le 22 juin 1774, l’Acte de Québec ou « Loi relative aux dispositions plus efficaces pour le gouvernement de la Province de Québec en Amérique du Nord » (14 Geo. III, c. 83) est la deuxième loi parlementaire (après la Proclamation royale de 1763) quant à l’administration britannique au Canada. Elle a été promulguée par le parlement britannique pour s’allier les canadiens-français dans la résistance au mouvement d’agitation alors croissant dans les colonies américaines.
[2] Le canton est un modèle cadastral d’origine britannique autrefois désigné par le mot « township » (ce terme n’a été traduit officiellement par « canton » que vers 1890). Il forme un territoire carré de 10 milles (16 km) de côté, subdivisé en rangs, puis en lots uniformes de 100 ou 200 acres chacun. Hormis les portions réservées à la Couronne (1/7) et au clergé protestant (1/7), son développement est confié à un leader qui, pour procéder à cette exploitation et avoir droit jusqu’à 25% des lots, doit, recruter des colons, dits « associés ».Le leader, dont le canton porte généralement le nom, construit les routes, le moulin et assume l’arpentage des terres. Le colon doit défricher un certain pourcentage de son lot et y produire une récolte, conditions requises à l’obtention de lettres patentes lui conférant la pleine propriété du lot occupé, libre de tout paiement de quelque redevance.
[3] Adopté le 7 mai 1796, l’« Acte pour faire, réparer et changer les chemins et ponts dans cette Province, et pour d’autres effets » (36 Geo. III, c. 9) est une loi qui organise les travaux de voirie sur tout le territoire du Bas-Canada. De plus, elle introduit une disposition fiscale spécifique aux cités de Québec et de Montréal, en leur permettant d’imposer une cotisation aux propriétaires fonciers, répartie sur la base de la valeur de leurs biens-fonds.
[4] L’expression « valeur annuelle » désigne l’estimé, établi par les cotiseurs, du montant que peut tirer annuellement un propriétaire de son bien-fonds, ce qui peut s’avérer différent du revenu réellement encaissé. Le montant ainsi estimé est davantage un indice permettant des comparaisons qu’une véritable indication de la valeur sur le marché.
[5] L’Acte d’Union (4 Vict. c. 35) est une constitution adoptée par le Parlement de Grande-Bretagne le 23 juillet 1840 et entré en vigueur le 10 février 1841. Cette loi remplace les provinces du Bas-Canada et du Haut-Canada, créées en 1791, par la Province du Canada, gouvernée par une seule assemblée législative et un gouverneur-général.
[6] Adoptées sous la gouverne de lord Sydenham le 29 décembre 1840, soit quelques semaines avant l’entrée en vigueur de l’Acte d’Union, ces deux ordonnances ont ensuite force de loi sur tout le territoire du Bas-Canada :
- Ordonnance pour pourvoir à, et régler l’Élection et la nomination de certains Officiers, dans les différentes Paroisses et Townships de cette Province, et pour faire d’autres dispositions concernant les intérêts locaux des Habitants de ces divisions de la Province (4 Vict., c. 3);
- Ordonnance qui pourvoit au meilleur Gouvernement de cette Province, en établissant des autorités locales et municipales en icelle (4 Vict., c. 4).