25 ans de révision administrative – Un succès mitigé!
Louis Bouchart d’Orval, avocat
Service des affaires juridiques – Ville de Laval
En 1992, le Bureau de révision de l’évaluation foncière du Québec (le BREF) a reçu pour le seul territoire de l’île de Montréal, plus de 46 000 plaintes à l’encontre des inscriptions de valeur au rôle triennal 1992. Profitant quatre (4) ans plus tard de la réforme de la justice administrative[1], le législateur introduisait dans la Loi sur la fiscalité municipale[2] un mécanisme de révision fin de donner l’occasion aux contribuables et à l’évaluateur municipal de tenter de régler leur litige avant de s’adresser aux tribunaux.
Tous conviennent que l’objectif a été atteint quant aux propriétés résidentielles puisque la très grande majorité des demandes de révision ne sont pas suivies d’un recours au TAQ. Alors que plusieurs demandes se soldent par une entente, un très grand nombre sont abandonnées à la suite d’explications de l’évaluateur quant à la confection des inscriptions de valeur.
Il en ait cependant autrement pour les propriétés non-résidentielles. J’y reviendrai. Dans un premier temps, j’aimerais répondre à des questions que se posent régulièrement les évaluateurs municipaux quant au traitement des demandes de révision.
La réponse de l’évaluateur
La LFM prévoit que l’évaluateur de l’OMRE, un officier public assujetti au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour supérieure, doit décider d’une demande de révision. La « décision » de l’évaluateur –c’est bien le terme utilisé par la LFM– prend la forme d’une réponse écrite dont les paramètres font l’objet de l’article 138.3.
Que faire d’une demande de révision administrative non conforme?
La LFM prévoit qu’une demande de révision qui n’est pas faite sur la formule prévue par la réglementation (art. 129) ou qui n’est pas accompagnée de la somme requise (art. 135) est « réputée » ne pas avoir été déposée. Consécutive à l’adoption du Code civil du Québec, l’utilisation du mot « réputée » à la LFM n’est pas anodine[3] puisqu’elle entraîne une nullité irréfragable de la demande :
2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
L’évaluateur n’a donc aucune obligation légale de répondre à une demande non conforme. Il est cependant de bonne pratique administrative d’informer le demandeur de son défaut afin qu’il puisse y remédier : le demande sera alors considérée comme étant déposée à la date où toutes les formalités sont remplies et non à la date du dépôt de la demande incomplète.
Un demandeur doit-il être représenté par avocat?
La personne qui dépose une demande administrative, quel que soit son statut juridique[4], n’a aucune obligation d’être représentée par avocat pour se faire. Dans l’affaire Sherbrooke c. Laboratoires Charles River Services précliniques Montréal[5], la Cour d’appel a d’ailleurs statué à cet effet dans le cas d’un recours au TAQ.
Y a-t-il un formulaire de réponse obligatoire?
La réglementation ne prescrit pas de formule pour la réponse de l’évaluateur comme c’est le cas pour la demande de révision administrative (art. 129). Il revient donc à l’évaluateur de rédiger un document qui lui permettra d’identifier clairement les coordonnées de l’unité d’évaluation et celles du demandeur, sa décision motivée d’informer ce dernier des dispositions relatives au droit de former un recours devant le Tribunal administratif du Québec, section des affaires immobilières (le TAQ).
À qui la réponse doit-elle être envoyée?
La réponse doit être envoyée au demandeur. Si le demandeur n’est pas le propriétaire ou est le mandataire du propriétaire, la réponse n’a pas à être envoyée au propriétaire[6] : dans le cas où une telle demande a fait l’objet d’une entente, ce dernier sera informé de la modification conséquente de l’inscription au rôle (art. 182 1°) et pourra former un recours directement au TAQ (art. 138.5, deuxième alinéa).
Et si le demandeur a mandaté un expert-évaluateur?
Si l’expert du demandeur est un évaluateur membre de l’OEAQ, l’évaluateur est en droit d’exiger de ce dernier une attestation à l’effet que cet expert est mandaté et qu’il a réalisé (et non qu’il va réaliser) une analyse préliminaire, analyse réalisée conformément aux Normes de pratique professionnelle de l’OEAQ. Le non-respect de cette règle coercitive constitue une contravention à l’article 4 du Code de déontologie des évaluateurs agréés[7]. On peut se demander si un évaluateur municipal serait légitimé de continuer d’échanger avec un confrère n’ayant pas respecté cette règle. Je serais porté à croire que l’évaluateur ne doit alors pas cesser de rechercher à comprendre le bien-fondé de la contestation pour en disposer et ainsi, laisser à son ordre professionnel le soin de juger de la conduite de ses membres.
Quelle est la tâche de l’évaluateur quant à une demande de révision?
L’évaluateur est tenu de « vérifier le bien-fondé de la contestation » (art. 138.3). On doit en comprendre que cette vérification doit se faire à la lumière des motifs exposés succinctement par la demande de révision (art. 128) ce qui n’empêche évidemment pas de réviser l’ensemble du dossier si les circonstances le commandent.
Un demandeur peut-il se désister de sa demande de révision?
La LFM ne prévoit pas le désistement d’une demande de révision administrative. Dans le cas où un demandeur manifeste une telle intention, l’évaluateur peut répondre à la demande qu’il n’a aucune proposition de modification et annexer à sa réponse un écrit du propriétaire attestant de son intention.
Quelle est l’échéance pour répondre à une demande?
L’article 138.4 prévoit que l’évaluateur doit répondre au plus tard le 1er septembre suivant l’entrée en vigueur du rôle dont les inscriptions sont contestées. Pour cause, l’OMRE peut reporter l’échéance du 1er septembre au 1er novembre et avec l’accord de la municipalité locale, au 1er avril de l’exercice suivant. Il faut ici se rappeler qu’une municipalité, OMRE ou non, parle par résolution de son conseil.
Que doit contenir la réponse de l’évaluateur?
L’évaluateur peut soit faire une proposition de modification au demandeur, soit l’informer par écrit, avec les motifs de sa décision, qu’il n’a aucune proposition à lui faire. Selon la forme du formulaire de réponse utilisé, il est souvent utile d’y ajouter une annexe permettant au demandeur de constater le travail de l’évaluateur depuis le dépôt de la demande et les motifs de sa décision. L’évaluateur peut même joindre des documents à sa décision. Celle-ci, y compris ses annexes et les documents afférents, fait partie intégrante du dossier du TAQ[8]. Dans le cas d’une demande de révision vague et imprécise, il importe que le TAQ soit au fait des démarches de l’évaluateur pour s’assurer des motifs de contestation des demandeurs. Il ne faut pas perdre de vue que sur demande de la municipalité.
Qui doit signer la réponse?
La réponse doit être signée par l’évaluateur qui toutefois peut s’adjoindre des collaborateurs pour l’aider dans sa tâche de vérifier le bien-fondé de la contestation. Contrairement à d’autres dispositions faisant référence au représentant (art. 18) ou à un assistant de l’évaluateur (art. 142), l’article 138.3 ne mentionne que l’évaluateur.
Le cas des propriétés non-résidentielles
Si tous conviennent que cette réforme s’est avérée un franc succès quant aux contestations résidentielles, il n’en va autrement pour les demandes relatives aux propriétés non-résidentielles.
Il appert que plusieurs propriétaires déposent des demandes pour « protéger leurs droits » et y allèguent une kyrielle de motifs dont la généralité et l’imprécision équivalent à une absence de motifs. Et que dire des demandes ayant pour seul motif : « la valeur réelle au rôle est erronée eu égard à l’application des méthodes
du coût, du revenu et de la comparaison » ? Compte tenu que l’évaluateur municipal ne dispose que de quatre mois -en période estivale- pour prendre connaissance des demandes de révision administrative, les analyser, obtenir des demandeurs des précisions et documents et décider (!), il en résulte que :
- Les propriétaire-demandeurs et l’évaluateur ne sont pas en mesure de finaliser, voire d’entamer de véritables discussions quant au bien-fondé des inscriptions au rôle;
- Le TAQ, contrairement à l’esprit de la réforme, se voit saisi de recours relatifs à des litiges pour lesquels les principaux protagonistes n’ont pas eu l’occasion de régler leur litige avant de le judiciariser.
Au cours des années, des efforts ont pourtant été faits afin de s’assurer que les propriétaires disposent de suffisamment de temps pour se faire une idée de la valeur de leurs immeubles et de consulter si nécessaire des professionnels appropriés (avocats & évaluateurs) avant de déposer leurs demandes :
- En 1982, l’article 135 fut amendé afin d’instaurer un « ticket modérateur » à toute plainte devant le BREF[9];
- En 1988, l’article 46 fut amendé afin de fixer dorénavant la date de référence au 1er juillet de l’exercice précédant celui du dépôt du rôle et non pas au 1er janvier précédant le dépôt[10];
- En 1996, l’article 81 fut amendé afin que les unités d’évaluation d’un certain niveau de valeur[11] fassent l’objet d’un avis d’évaluateur dans les semaines suivant le dépôt du rôle;
- En 1998, la LFM fut amendée afin d’instaurer un processus hâtif d’échanges entre les propriétaires d’immeubles à vocation unique et l’évaluateur municipal[12];
- En 2019, l’OEAQ a adopté deux normes de pratique professionnelle (normes 20.2 et 20.3) obligeant[13] ses membres de procéder à une analyse préliminaire des valeurs avant de se présenter à l’évaluateur municipal et au TAQ[14].
L’évaluateur devrait donc, dès la réception des demandes de révision, prendre les démarches nécessaires pour obtenir du
demandeur toutes informations et documents utiles à l’examen du bien-fondé de la contestation. Malheureusement, l’évaluateur apprend trop souvent que son vis-à-vis a été récemment mandaté par le propriétaire et qu’il n’a donc pas procédé à l’analyse préliminaire requise par les Normes de pratique professionnelle de l’OEAQ, n’a pas encore visité la propriété, aimerait avoir accès au dossier de propriété, a trop de dossiers, doit prendre des vacances, etc…bref, qu’il n’est pas mesure d’échanger quant aux valeurs.
Qui blâmer? Sauf exception[15], je suis d’avis que les propriétaires doivent porter la responsabilité de cette situation et ce, parce que :
- L’évaluation concernée est celle de leurs immeubles : on présume qu’ils en connaissent l’état (physique, économique, juridique) et qu’ils ont en main toutes les informations requises (rapports, inspections, états financiers, etc.);
- Ils peuvent, sans aucune restriction temporelle, consulter des experts pour se faire une idée de la valeur de leurs immeubles à la date de référence et du bien-fondé des inscriptions au rôle;
- Si nécessaire, ils ont accès, sans restriction temporelle, à leurs dossiers de propriété[16] et peuvent ainsi connaître le contenu de leurs unités d’évaluation;
Dans un cas où il appert que l’évaluateur municipal n’a pu effectuer son travail de vérification du bien-fondé de la contestation en raison de l’incurie du propriétaire ou de ses experts, l’OMRE sera légitimé de demander au TAQ l’application du deuxième alinéa de l’article 248 quant au paiement d’intérêts :
Le montant du remboursement porte intérêt au même taux que la taxe à compter de la date où celle-ci est devenue exigible. Toutefois, si la modification du rôle donnant lieu au remboursement fait suite à un recours devant le Tribunal, le montant du remboursement ne porte pas intérêt pour la période que le Tribunal indique dans sa décision, le cas échéant, comme période pendant laquelle
l’audition du recours a subi un retard indu dont le débiteur du montant de remboursement, ou la partie au litige dont il est l’ayant cause, n’est pas responsable.
Si le recours à cette disposition a, à ce jour, été timide, on peut penser que quelques décisions du TAQ à cet effet permettront un meilleur accès à la justice administrative.
Conclusion
La réforme de la justice administrative s’est, en fiscalité municipale, révélée être un pas dans la bonne direction. Outre qu’elle a diminué la pression sur le système judiciaire, elle a permis un rapprochement entre les propriétaires et l’évaluateur. Il reste toutefois, de la part des professionnels concernés (avocats et évaluateurs agréés), un travail d’information, voire d’éducation, quant à l’importance pour les propriétaires de se tenir à jour quant à la valeur de leurs propriétés. L’évaluation municipale n’est-elle pas une réalité incontournable?
Notes:
[1] L.Q. 1996, chapitre 67;
[2] RLRQ, chapitre F-2.1 – à moins d’indication contraire, toute référence à une disposition législative en est une à cette loi;
[3] Le mot « réputé » a été inséré en 1996 aux articles 129 et 135 (LQ 1999, c. 67, articles 15 et 22);
[4] L’article 1 définit comme suit le mot « personne » : « une personne, de même que tout groupement de personnes ou de biens, telle une société, une association ou une fiducie »;
[5] 2022 QCCA 263;
[6] Il est cependant à noter qu’une copie de la demande de révision formée lui aura été transmis (art. 137);
[7] RLRQ chapitre C-26, r. 123;
[8] Loi sur la justice administrative, R.L.R.Q, chapitre J-3, article 114 & Règlement sur la procédure du Tribunal administratif du Québec, r. 3.01
[9] L.Q. 1982, chapitre 2, article 89;
[10] L.Q.1988, chapitre 76, article 21;
[11] L.Q. 1996, chapitre 67, article 7 (plancher de 1 000 000 $), puis L.Q. 2019, chapitre 28, article 134 (plancher de 3 000 000 $);
[12] Articles 18.1 & suivants – L.Q.1998, chapitre 43, article 2;
[13] Ces normes sont coercitives ;
[14] Le Code de déontologie des évaluateurs agréés (R.L.R.Q. chapitre 26, r.123) a d’ailleurs été amendé afin d’y ajouter une disposition (article 24.3) relative au respect de ces normes (décret 251-2018, a. 12);
[15] Se peut-il que certains professionnels, consciemment ou non, se gardent quelques cartes dans leurs manches de peur de les « brûler » avant de se présenter devant le TAQ? Certaines personnes le pensent;
[16] Article 78 LFM;