L’article 174.3 de la Loi sur la fiscalité municipale « LFM » : L’équivoque persiste

Par Me Patrice Ricard, associé, Bélanger Sauvé — Avocats
Cet article a fait l’objet du jugement récent de la Cour supérieure dans Condominiums Renaissance Blainville S.E.C. contre Ville de Blainville et LBP Évaluateurs agréés inc. et Pierre Gosselin, mis en cause (ci-après le « jugement Renaissance »1. Une permission d’appeler fut accordée le 2 novembre 2023 par la Cour d’appel du Québec. Le jugement Renaissance a fait suite à un pourvoi en contrôle judiciaire ayant demandé de déclarer illégaux 40 certificats de modification du rôle triennal 2019-2020-2021. Les faits de cette affaire sont les suivants : À la suite d’une inspection le 24 juillet 2019, 40 certificats sont émis selon les articles 32 et 174 (7) LFM. C’est à cette date lors d’une inspection que l’évaluateur aurait eu connaissance que la construction des 40 propriétés divises était substantiellement terminée. Les certificats portaient ainsi la valeur des unités au rôle.
Renaissance soutenait que les certificats étaient illégaux sur la base de l’immuabilité du rôle et du fait qu’aucun événement n’était survenu depuis son entrée en vigueur. En fait, Renaissance affirmait que c’était depuis octobre 2017 que les travaux de construction des condominiums étaient substantiellement terminés. Elle ajoutait que l’évaluateur ne pouvait modifier le rôle pour tenir compte d’un événement visé à l’article 32 LFM survenu avant le dépôt du rôle lorsqu’il était connu de l’évaluateur.
Soulignons que la présence au dossier des mis en cause avait fait suite à une demande d’intervention forcée et que ce sont ces parties qui ont été requérantes en Cour d’appel. Pour le rôle précédent et suivant l’inscription d’une décla-ration de copropriété, des certificats avaient été émis pour at-tribuer une valeur seulement aux terrains et indiquer « travaux inachevés (à revoir) ». L’histoire révèle que les 40 condominiums étaient initialement destinés à la vente, mais qu’en cours de projet, il avait été décidé de les mettre en location. L’évaluateur municipal expliqua que n’étant pas informé de cette décision de mettre en location les 40 unités, il s’attendait à recevoir les mu-tations immobilières au nom de leurs nouveaux propriétaires et, du même coup, porter au rôle la valeur desdites unités. La Ville reprocha ainsi à Renaissance de ne pas l’avoir informée du changement des destinations des 40 unités d’évaluation. Selon la Ville, ce manquement a permis à Renaissance d’éviter que la valeur desdites unités soit ajoutée au rôle en temps opportun. Était aussi reproché à Renaissance le fait d’avoir transmis de l’information erronée à l’évaluateur. Écartant un stratagème, la Cour fut d’avis qu’il revenait à l’Évaluateur de déployer les efforts requis pour porter au rôle en temps opportun la valeur des bâtiments.
La compétence de la Cour supérieure
L’Évaluateur et LBP ont fait valoir que la Cour devait décliner compétence en raison du principe de l’épuisement des recours. Ils plaidaient qu’un recours administratif et subséquemment un recours au TAQ auraient dû être entrepris. S’appuyant sur un précédent classique en matière de la Cour suprême du Canada2 et sur des précédents des tribunaux supérieurs du Québec, la Cour refusa de décliner compétence.
Cet article prévoit qu’un événement antérieur à la date de référence peut être pris en compte en mise en jour si « malgré les articles 46 et 69, le rôle ne reflète pas l’état de l’unité d’évaluation (…) compte tenu de l’événement ». Pour la Cour, cet article était entré en vigueur suite au jugement de la Cour du Québec dans Laval c. Dubé (JE 93-1737). Ce jugement avait déclaré illégal un certificat de modification selon l’article 174(7) émis durant un rôle postérieur à la terminaison de travaux effectués sans permis, et ce, à l’occasion d’une inspection.
Le jugement Renaissance retient sur cette base que pour que soit applicable l’article 174.3 LFM, l’événement doit être inconnu de l’évaluateur et cite, à titre de seul exemple, le cas d’une construction effectuée sans permis. Selon la Cour, l’article 174.3 ne permet pas de modifier le rôle « lorsque l’évaluateur connaissait ou aurait dû connaître l’existence d’un événement (…) »
Cela dit, il peut être observé que le texte de l’article 174.3 ne contient aucune exception à son application. Même lorsqu’une construction est effectuée sans permis, il pourrait être avancé que la situation aurait dû être connue de l’évaluateur dans la mesure où une inspection aurait pu révéler sa présence. Dans ce contexte, la condition de connaissance peut apparaître comme un ajout au texte de loi. Quant à la connaissance personnelle de l’évaluateur, Me Louis Bouchart d’Orval citait, dans un article précédent du Faisceau3 et dans le contexte de l’article 174.3, l’extrait suivant de la Cour supérieure dans Iron Mountain Canada Corp. c. Ville de Laval, 2015 QCCS 2205 :
« Ce n’est pas la connaissance personnelle de l’employé du service de l’évaluation qui rend le certificat valide ou non. C’est plutôt le respect des exigences prévues à la loi qui sont en preuve devant le tribunal au moment de l’évaluation du certificat. »
Dans cet esprit, nous paraphrasons notre confrère, dans le même article, en faisant valoir que le législateur aurait pu en effet indiquer que la considération tardive de l’événement par l’Évaluateur doit être conditionnelle à sa non-connaissance. Comme il l’écrivait également, le législateur a peut-être voulu éviter des débats potentiellement long sur la question de la connaissance ou les éléments la faisant ou non présumer. La Cour d’appel, espérons-le, nous permettra de savoir si l’application de l’article 174.3, eu égard à l’article 174(7), est soumise à des conditions de connaissance par l’évaluateur. À suivre.