Les modifications législatives de 2023 et le bingo municipal
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Auteur
Louis Bouchart d’Orval, avocat
Service des affaires juridiques
Ville de Laval
L’Assemblée nationale du Québec a adopté, en 2023, quatre lois modifiant la Loi sur la fiscalité municipale (1). Si plusieurs des nouvelles dispositions concernent les pouvoirs de taxation des municipalités, je vous propose de faire ici un survol de celles concernant le rôle d’évaluation et la tâche afférente des officiers municipaux.
P. L. 16 – Présentation publique des inscriptions au rôle
Afin de protéger notamment les victimes de violence conjugale, le greffier de la municipalité devra dorénavant, sur demande, retirer le nom et l’adresse d’une personne qui estime que l’accessibilité à ces renseignements pourrait mettre en péril sa sécurité ou celle d’un autre occupant ou utilisant un immeuble compris dans une unité d’évaluation :
73.1. Aux fins de l’article 73 et de toute présentation publique des inscriptions contenues au rôle, le greffier doit retirer le nom et l’adresse d’une personne au nom de qui est inscrite une unité d’évaluation lorsque cette personne lui a soumis une demande mentionnant que l’accessibilité à ces renseignements pourrait mettre en péril sa sécurité ou celle d’une personne occupant ou utilisant un immeuble compris dans l’unité. Le premier alinéa s’applique malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1).
P. L. 40 – Pouvoirs de l’évaluateur
Les pouvoirs de l’évaluateur quant à la visite et à l’examen des biens situés sur le territoire de la municipalité et ceux relatifs à l’obtention de renseignements (baux, factures, états financiers, soumissions, etc.) au moyen d’un questionnaire ou autrement font l’objet du chapitre III.1 de la LFM. Les articles 16 et 18 prévoient que le refus de répondre aux demandes de l’évaluateur constitue des infractions sanctionnables par des amendes. Par l’adoption du nouvel article 265, le législateur met fin à l’incertitude quant à la compétence des cours municipales pour décider des infractions et des peines afférentes à leur commission : elles sont compétentes.
P. L. 17 – Pouvoirs réglementaires du ministre
Régularisant une pratique issue de la modernisation réglementaire et normative de l’évaluation foncière, l’article 263 a été modifié afin que le ministre puisse «prescrire les règles relatives à la transmission, au ministre, des renseignements requis aux fins de l’établissement de la proportion médiane» plutôt que de prescrire que «les opérations du calcul de la proportion médiane, y compris s’il y a lieu les modifications à la liste des ventes, sont consignées sur une formule fournie par le ministre, qui lui est transmise une fois remplie dans le délai qu’il fixe».
P. L. 39 – Propriété et garde du rôle
Intitulé «Propriété et garde du rôle», le chapitre VII de la LFM a fait couler beaucoup d’encre au cours des derniers mois. Le législateur y apporte certaines modifications.
Ainsi, le droit de consultation par certaines personnes et à certaines conditions d’un document rassemblé ou préparé par l’évaluateur en devient maintenant un d’en obtenir copie. Terminer les consultations au greffe de l’hôtel de ville, avec cellulaire pour quelques clichés à la dérobée, par les contribuables et leurs experts. En quelque sorte, bienvenue au XXIe siècle!
Autre nouveauté : l’accès à ces documents par d’autres services municipaux, par la Ville ou par une régie municipale est dorénavant permis pour:
- les fins requises par la LFM (ex. nombre de piscines pour fins de tarification);
- répondre à une situation d’urgence relative à un im-meuble qui est susceptible d’affecter la sécurité des per-sonnes et des biens;
- des fins de prévention envers un immeuble.
Ce faisant, le législateur consacre non seulement la règle de confidentialité des documents de l’évaluateur, mais celle de l’indépendance de ce dernier en tant qu’officier public, et ce, sans distinction quant à son statut de fonctionnaire municipal ou non.
P. L. 39 (2) – Dispositions fiscales et travail de l’évaluateur
À la demande des municipalités, le législateur a adopté plusieurs mesures leur permettant plus de souplesse quant à leurs pouvoirs de taxation. On y prévoit :
- l’abolition de la catégorie des six logements et plus;
- la possibilité de créer, sans limitation quant au nombre, des sous-catégories résidentielles (3);
- la possibilité de taxer en fonction de secteurs;
- la possibilité de taxer les immeubles dont les logements sont vacants.
Si l’utilisation de ces pouvoirs permettra aux élus de concrétiser leurs choix (diversification, densification, allègement, etc.), elle engendrera un travail colossal aux évaluateurs puisque ceux-ci devront s’assurer que tant les dossiers de propriété que le rôle comportent toutes les données nécessaires à l’exercice de ces choix.
Ces nouvelles dispositions s’ajoutent à celles adoptées depuis une trentaine d’années (4). Semblent maintenant plus que jamais révolues, les règles de l’universalité de l’évaluation à la valeur réelle et du taux de taxes unique ayant présidé à l’adoption en 1979 de la LFM. Faut-il ici se rappeler5 que celle-ci faisait alors consensus quant au respect des principes directeurs exigés par le Comité conjoint Québec-municipalités dont ceux :
- d’assurer l’équité fiscale en traitant tous les contri-buables sur un pied d’égalité et en tenant compte des bénéfices reçus par chacun;
- de faire preuve de simplicité administrative, tant par son application par les municipalités que pour sa comprhen-sion par les contribuables.
Dorénavant, le législateur met à la disposition des élus, assis à la table du Conseil, un véritable menu leur permettant de choisir à la carte ce qui leur apparaît le plus approprié compte tenu de l’état des finances de leur municipalité, de leur population et de leurs projets. Si cette souplesse de plus en plus grande est alléchante pour les élus, la tâche des officiers municipaux s’en trouve complexifiée.
Alors, l’évaluateur doit fournir au décideur les ingrédients lui permettant de concocter l’équilibre recherché entre les différentes saveurs du jour, le trésorier procède à l’élaboration des différents scénarios et livre aux décideurs les plats demandés. Certaines recettes étant plus difficiles que d’autres, ne faudrait-il pas se surprendre d’entendre, annuellement du fond de l’hôtel de ville, s’élever la voix du trésorier s’exclamant, comme jadis à la salle paroissiale, «Bingo!».
Sources
- Loi modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et d’autres dispositions, LQ 2023, c. 12 (projet de loi no 16), Loi modifiant diverses dispositions principale-ment aux fins d’allègement du fardeau réglementaire et administratif, LQ 2023, c. 24 (projet de loi no 17), Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives, LQ 2023, c. 33 (projet de loi no 39), Loi visant notamment à réformer les cours municipales et à améliorer l’efficacité, l’accessibilité et la perfor-mance du système de justice, LQ c. 31 (projet de loi no 40)
- Le 1er février dernier, Me Paul Wayland a, sous l’auspice de l’AEMQ, donné une formation sur le sujet. Intitulée « Le Projet de loi 39… décortiqué pour vous ». Elle sera bientôt disponible sur le site web de l’AEMQ;
- La localisation et la valeur des unités ne peuvent être des critères permettant
la création de sous-catégories (nouvel article 244.64.8.4); - Taux variés, catégories et classes d’immeubles, dégrèvement, étalement, sous-catégories, etc…;
- Historique de l’évaluation municipale au Québec, recueil d’informations sur l’his-toire des pratiques d’évaluation foncière en milieu municipal, sous la direction de monsieur Alain Raby, édition AEMQ 2021, à la page 44;
L’Assemblée nationale du Québec a adopté, en 2023, quatre lois modifiant la Loi sur la fiscalité municipale (1). Si plusieurs des nouvelles dispositions concernent les pouvoirs de taxation des municipalités, je vous propose de faire ici un survol de celles concernant le rôle d’évaluation et la tâche afférente des officiers municipaux.
P. L. 16 – Présentation publique des inscriptions au rôle
Afin de protéger notamment les victimes de violence conjugale, le greffier de la municipalité devra dorénavant, sur demande, retirer le nom et l’adresse d’une personne qui estime que l’accessibilité à ces renseignements pourrait mettre en péril sa sécurité ou celle d’un autre occupant ou utilisant un immeuble compris dans une unité d’évaluation :
73.1. Aux fins de l’article 73 et de toute présentation publique des inscriptions contenues au rôle, le greffier doit retirer le nom et l’adresse d’une personne au nom de qui est inscrite une unité d’évaluation lorsque cette personne lui a soumis une demande mentionnant que l’accessibilité à ces renseignements pourrait mettre en péril sa sécurité ou celle d’une personne occupant ou utilisant un immeuble compris dans l’unité. Le premier alinéa s’applique malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1).
P. L. 40 – Pouvoirs de l’évaluateur
Les pouvoirs de l’évaluateur quant à la visite et à l’examen des biens situés sur le territoire de la municipalité et ceux relatifs à l’obtention de renseignements (baux, factures, états financiers, soumissions, etc.) au moyen d’un questionnaire ou autrement font l’objet du chapitre III.1 de la LFM. Les articles 16 et 18 prévoient que le refus de répondre aux demandes de l’évaluateur constitue des infractions sanctionnables par des amendes. Par l’adoption du nouvel article 265, le législateur met fin à l’incertitude quant à la compétence des cours municipales pour décider des infractions et des peines afférentes à leur commission : elles sont compétentes.
P. L. 17 – Pouvoirs réglementaires du ministre
Régularisant une pratique issue de la modernisation réglementaire et normative de l’évaluation foncière, l’article 263 a été modifié afin que le ministre puisse «prescrire les règles relatives à la transmission, au ministre, des renseignements requis aux fins de l’établissement de la proportion médiane» plutôt que de prescrire que «les opérations du calcul de la proportion médiane, y compris s’il y a lieu les modifications à la liste des ventes, sont consignées sur une formule fournie par le ministre, qui lui est transmise une fois remplie dans le délai qu’il fixe».
P. L. 39 – Propriété et garde du rôle
Intitulé «Propriété et garde du rôle», le chapitre VII de la LFM a fait couler beaucoup d’encre au cours des derniers mois. Le législateur y apporte certaines modifications.
Ainsi, le droit de consultation par certaines personnes et à certaines conditions d’un document rassemblé ou préparé par l’évaluateur en devient maintenant un d’en obtenir copie. Terminer les consultations au greffe de l’hôtel de ville, avec cellulaire pour quelques clichés à la dérobée, par les contribuables et leurs experts. En quelque sorte, bienvenue au XXIe siècle!
Autre nouveauté : l’accès à ces documents par d’autres services municipaux, par la Ville ou par une régie municipale est dorénavant permis pour:
- les fins requises par la LFM (ex. nombre de piscines pour fins de tarification);
- répondre à une situation d’urgence relative à un im-meuble qui est susceptible d’affecter la sécurité des per-sonnes et des biens;
- des fins de prévention envers un immeuble.
Ce faisant, le législateur consacre non seulement la règle de confidentialité des documents de l’évaluateur, mais celle de l’indépendance de ce dernier en tant qu’officier public, et ce, sans distinction quant à son statut de fonctionnaire municipal ou non.
P. L. 39 (2) – Dispositions fiscales et travail de l’évaluateur
À la demande des municipalités, le législateur a adopté plusieurs mesures leur permettant plus de souplesse quant à leurs pouvoirs de taxation. On y prévoit :
- l’abolition de la catégorie des six logements et plus;
- la possibilité de créer, sans limitation quant au nombre, des sous-catégories résidentielles (3);
- la possibilité de taxer en fonction de secteurs;
- la possibilité de taxer les immeubles dont les logements sont vacants.
Si l’utilisation de ces pouvoirs permettra aux élus de concrétiser leurs choix (diversification, densification, allègement, etc.), elle engendrera un travail colossal aux évaluateurs puisque ceux-ci devront s’assurer que tant les dossiers de propriété que le rôle comportent toutes les données nécessaires à l’exercice de ces choix.
Ces nouvelles dispositions s’ajoutent à celles adoptées depuis une trentaine d’années (4). Semblent maintenant plus que jamais révolues, les règles de l’universalité de l’évaluation à la valeur réelle et du taux de taxes unique ayant présidé à l’adoption en 1979 de la LFM. Faut-il ici se rappeler5 que celle-ci faisait alors consensus quant au respect des principes directeurs exigés par le Comité conjoint Québec-municipalités dont ceux :
- d’assurer l’équité fiscale en traitant tous les contri-buables sur un pied d’égalité et en tenant compte des bénéfices reçus par chacun;
- de faire preuve de simplicité administrative, tant par son application par les municipalités que pour sa comprhen-sion par les contribuables.
Dorénavant, le législateur met à la disposition des élus, assis à la table du Conseil, un véritable menu leur permettant de choisir à la carte ce qui leur apparaît le plus approprié compte tenu de l’état des finances de leur municipalité, de leur population et de leurs projets. Si cette souplesse de plus en plus grande est alléchante pour les élus, la tâche des officiers municipaux s’en trouve complexifiée.
Alors, l’évaluateur doit fournir au décideur les ingrédients lui permettant de concocter l’équilibre recherché entre les différentes saveurs du jour, le trésorier procède à l’élaboration des différents scénarios et livre aux décideurs les plats demandés. Certaines recettes étant plus difficiles que d’autres, ne faudrait-il pas se surprendre d’entendre, annuellement du fond de l’hôtel de ville, s’élever la voix du trésorier s’exclamant, comme jadis à la salle paroissiale, «Bingo!».
Sources
- Loi modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et d’autres dispositions, LQ 2023, c. 12 (projet de loi no 16), Loi modifiant diverses dispositions principale-ment aux fins d’allègement du fardeau réglementaire et administratif, LQ 2023, c. 24 (projet de loi no 17), Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives, LQ 2023, c. 33 (projet de loi no 39), Loi visant notamment à réformer les cours municipales et à améliorer l’efficacité, l’accessibilité et la perfor-mance du système de justice, LQ c. 31 (projet de loi no 40)
- Le 1er février dernier, Me Paul Wayland a, sous l’auspice de l’AEMQ, donné une formation sur le sujet. Intitulée « Le Projet de loi 39… décortiqué pour vous ». Elle sera bientôt disponible sur le site web de l’AEMQ;
- La localisation et la valeur des unités ne peuvent être des critères permettant
la création de sous-catégories (nouvel article 244.64.8.4); - Taux variés, catégories et classes d’immeubles, dégrèvement, étalement, sous-catégories, etc…;
- Historique de l’évaluation municipale au Québec, recueil d’informations sur l’his-toire des pratiques d’évaluation foncière en milieu municipal, sous la direction de monsieur Alain Raby, édition AEMQ 2021, à la page 44;