1.12 Règlement sur l’évaluation des immeubles à vocation unique

Présentation et sommaire

Le Règlement sur la méthode d’évaluation des immeubles à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle est un règlement édicté par le gouvernement du Québec en 1998 pour prescrire divers aspects techniques quant à l’évaluation foncière de propriétés complexes peu susceptibles d’être transigées sur le marché immobilier (usines, hôpitaux, pénitenciers, etc.).

Complémentaires aux dispositions de la Loi sur la fiscalité municipale qui sont propres à ce type d’immeubles, celles formant ce règlement proviennent de consensus entre divers spécialistes gouvernementaux, municipaux et industriels. Outre la définition des immeubles visés, elles prescrivent une application de la méthode du coût qui se veut équitable et praticable par tous les intervenants publics et privés qui sont concernés.

Contexte législatif préalable

Avant 1980, les évaluateurs municipaux ont peu de repères législatifs[1] pour établir la valeur des immeubles majeurs conçus pour l’exercice d’activités spécialisées (usines, hôpitaux, pénitenciers, etc.) et peu susceptibles d’être transigés sur le marché. Ces constructions sont alors évaluées par la méthode du coût de remplacement, à l’aide de répertoires de coûts unitaires que chacun juge appropriés.

À compter de 1980, l’application de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM) modifie cette situation, notamment parce que cette loi :

  • définit la notion de valeur réelle, en référant au prix d’échange le plus probable sur un marché libre et ouvert à la concurrence (art. 43);
  • prescrit, quant aux immeubles non susceptibles d’être vendus de gré à gré, d’établir cette valeur en considérant le propriétaire comme étant à la fois l’acheteur et le vendeur dans un tel marché (art. 44);
  • instaure la règle générale de mise au rôle de tous les immeubles (art. 31), seuls étant désormais exclus ceux spécifiquement visés par les exceptions énumérées dans la loi (art. 63 à 68). Introduite pour assurer l’intégrité et le rendement financier de l’assiette fiscale municipale, cette règle accroît significativement le nombre et la nature des biens immobiliers devant être évalués (machines, appareils, équipements fixes, etc.).

Conjuguée au dépôt de tous les rôles de nouvelle génération qui ont lieu jusqu’en 1984, l’application graduelle de la LFM à l’évaluation des immeubles à vocation unique génère de nombreuses contestations, suivies de longs débats et de courants jurisprudentiels divergents. De plus, l’instauration du régime des rôles triennaux de 1989 à 1992 augmente les enjeux financiers en cause, tant pour les municipalités que pour les entreprises concernées. Les amendements apportés à la LFM en 1993 pour alléger les débats quant aux équipements partiellement destinés à la production industrielle n’atteignent toutefois pas cet objectif.

Développement et adoption de mesures sur l’évaluation des immeubles à vocation unique

Très coûteux pour les parties impliquées, le nombre et la durée des débats judiciaires relatifs à l’évaluation foncière des immeubles à vocation unique amènent plusieurs intervenants à réclamer du gouvernement des moyens plus simples et moins contestables pour évaluer ces immeubles complexes, dont la valeur élevée représente souvent une part importante de l’assiette d’imposition de la municipalité où ils se trouvent.

À la suite d’analyses réalisées à ce sujet par un comité multidisciplinaire « ad hoc », le ministre des Affaires municipales, M. Guy Chevrette, lance un défi d’innovation aux évaluateurs municipaux, en mars 1995. Il insiste alors sur la nécessité de mettre en place des mécanismes permettant de déterminer plus rapidement l’évaluation imposable de ces immeubles, de façon à réduire l’incertitude financière relative à leur imposition foncière. Saisie de cette problématique, la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics (Commission D’Amours) recommande au ministre, en octobre 1996, d’effectuer des travaux spécialisés afin de définir les méthodes les plus appropriées pour déterminer la valeur des immeubles institutionnels, commerciaux et industriels, plus particulièrement en ce qui concerne les immeubles à vocation unique.

Dans cette perspective, la LFM est modifiée en décembre 1996 pour conférer au gouvernement le pouvoir de prescrire, par règlement, une méthode d’évaluation quant aux immeubles à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle (art. 262, par. 10°). Ce pouvoir lui permet notamment de définir les immeubles qu’il veut assujettir à la méthode d’évaluation qu’il prescrit et de déterminer des catégories d’immeubles à cette fin[2].

En juin 1997, le Groupe de travail sur les immeubles à vocation unique et les rôles triennaux d’évaluation foncière (Comité O’Bready) fait rapport au ministre des Affaires municipales, M. Rémy Trudel, sur le consensus obtenu entre ses membres, issus de divers milieux privés et publics. Il propose une définition des immeubles à vocation unique et recommande au gouvernement de prescrire :

  • l’application de la méthode du coût, tant en confection qu’en révision ou devant les tribunaux, basée sur les dimensions exactes des bâtiments évalués, mais selon les techniques de construction courantes;
  • l’utilisation, à cette fin, d’une version actualisée du Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ), à être validée par un comité mixte;
  • une table quantifiant les dépréciations normales des immeubles visés, sujette à la même validation;
  • la tenue de divers échanges formels de renseignements entre l’évaluateur municipal et le propriétaire concerné, avant le dépôt du rôle d’évaluation

 

En octobre 1997, le ministre Trudel fait connaître les suites qu’il entend donner au rapport du Comité O’Bready. Reconnaissant la valeur déterminante du consensus dégagé entre les membres – aux positions initiales fort divergentes – composant ce comité, il indique vouloir agir rapidement par voie législative et réglementaire pour mettre en oeuvre les recommandations énoncées sur :

  • la définition des immeubles à vocation unique;
  • les principes directeurs de la méthode d’évaluation retenue;
  • l’actualisation des barèmes de coûts unitaires du MEFQ;
  • l’échange de renseignements entre l’évaluateur municipal et le propriétaire de chacun des immeubles visés.

Le ministre écarte toutefois l’idée d’assujettir à une validation externe les développements projetés au MEFQ, le MAM devant demeurer entièrement imputable du contenu de celui-ci. Il écarte aussi l’idée d’imposer l’usage d’une table de dépréciation normale, à laquelle il privilégie la recherche de solutions couvrant toutes les formes de dépréciation.

Les engagements ministériels quant à l’évaluation foncière des immeubles à vocation unique se concrétisent en 1998, sous la forme de deux interventions complémentaires : l’instauration de nouvelles exigences législatives et l’édiction d’un nouveau règlement.

En juin 1998 d’abord, l’adoption du projet de loi 440 (L.Q. 1998, chap. 43) intègre à la LFM des règles encadrant les communications, avant le dépôt du rôle, entre l’évaluateur municipal et le propriétaire de tout immeuble à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle. Ces nouvelles mesures exigent notamment, selon un échéancier ferme, que :

  • l’évaluateur avise le propriétaire du fait que son immeuble est visé par le règlement et lui communique les montants de coût neuf et de dépréciation qu’il établit en application de ce règlement (art. 18.1 et 18.2);
  • en cas de désaccord, le propriétaire communique à l’évaluateur les mêmes renseignements, selon les montants qu’il entend faire reconnaître (art. 18.3);
  • soit utilisée, lorsque pertinente, la technique d’application de la méthode du coût prévue au MEFQ (art. 263.0.1);
  • les deux parties soient liées par les renseignements ainsi communiqués, quant à l’établissement de la valeur finale (art. 18.4).

Le 21 octobre 1998, le Règlement sur la méthode d’évaluation des immeubles à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle est décrété par le gouvernement (1998 G.O.2, 5889), donnant ainsi effet aux dispositions législatives précédemment adoptées à ce sujet. Ce règlement circonscrit les unités d’évaluation visées selon plusieurs conditions, notamment à l’effet que les constructions qui en font partie doivent :
 

  • être évaluées à au moins à 5 000 000$, au rôle en vigueur;
  • être conçues et agencées spécialement pour l’exercice d’une activité de nature industrielle ou institutionnelle, sans pouvoir être économiquement converties aux fins d’un autre genre d’activités.

Il prescrit également des règles particulières régissant l’évaluation de telles propriétés par la méthode du coût, à l’effet que :

  • le coût neuf des constructions visées doit être établi en tenant compte de leurs dimensions extérieures exactes, ainsi que des matériaux et des techniques utilisés couramment à la date de l’évaluation;
  • toute dépréciation doit être soustraite du coût neuf, notamment celle résultant d’une différence significative entre l’espace intérieur présumé pour établir le coût neuf et celui réellement disponible dans la construction.

Ce règlement n’a jamais été modifié ni remplacé depuis son édiction.

Objectifs et portée des mesures relatives à l’évaluation des immeubles à vocation unique

Compte tenu des échéanciers prescrits, les mesures législatives et réglementaires adoptées en 1998, quant à l’évaluation foncière des immeubles à vocation unique, s’appliquent à la confection de tout rôle d’évaluation entrant en vigueur à compter de 2001.

Les résultats d’une collecte de données, menée par le MAM en 1999 quant aux rôles 2001, révèlent que 522 immeubles à vocation unique de nature industrielle (138) ou institutionnelle (384) ont été ainsi désignés. Ils sont répartis dans 107 municipalités différentes et représentent une évaluation totale de 11 G$ (aux rôles 1999).

Adoptées en considération de plusieurs consultations mettant en présence des représentants des municipalités, des évaluateurs, des entreprises et des organismes concernés par ce changement, ces dispositions marquent un tournant dans les pratiques d’évaluation foncière propres aux immeubles industriels et institutionnels majeurs. Il s’avère particulièrement que :

  • la méthode du coût telle que prescrite au règlement est praticable par tous les intervenants professionnels concernés et s’avère suffisamment uniforme pour assurer des échanges efficaces entre ceux-ci;
  • l’obligation faite à l’évaluateur et au propriétaire de se fournir réciproquement les résultats qu’ils entendent faire reconnaître aux fins du rôle en voie de confection favorise la diminution du nombre et de l’ampleur des contestations consécutives au dépôt du rôle, puisque des échanges structurants ont préalablement eu lieu.

 

Sources de référence utilisées aux fins de la présente capsule

  • Le ministre des Affaires municipales lance un défi aux évaluateurs municipaux- Échos de l’assemblée plénière, Guy Geoffrion, Le Faisceau, printemps 1995, p. 3.
  • Ensemble pour un Québec responsable – Rapport de la commission sur la fiscalité et le financement des services publics, gouvernement du Québec, 1996-10-21, pp. 112 à 115.
  • Groupe de travail sur les immeubles à vocation unique et les rôles triennaux d’évaluation foncière (Rapport), Jacques O’Bready, président, 1997-06-19, 28 pages.
  • Le ministre Trudel donne suite aux recommandations du rapport du Groupe de travail, Communiqué de presse, ministère des Affaires municipales, 1997-10-31.
  • « Immeubles à vocation unique… », Gilles Racicot, Le Faisceau, hiver 1997, pp. 6 à 10.
  • Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale, ministère des Affaires municipales, Muni-Express, 1998-07-07, pp. 1-2.
  • Règlement sur la méthode d’évaluation des immeubles à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle, Gazette officielle du Québec partie 2, 1998-11-04, pp. 5889-5890.
  • Communiqué du MAM aux évaluateurs signataires de rôles, Jean Monfet, 1999-05-07.
  • Rapport annuel 1998-1999 du ministère des Affaires municipales et de la Métropole, Publications du Québec, octobre 1999, p. 32.
  • Les mesures applicables à l’évaluation municipale des immeubles à vocation unique, Alain Raby E.A., Mots d’Ordre, mars 2000, pp. 16 à 19.
  • La dépréciation des bâtiments industriels aux fins d’évaluation foncière municipale au Québec, Ministère des Affaires municipales, avril 2005, pp. 12 à 14.
  • Biographie du député Rémy Trudel, site web de l’Assemblée nationale du Québec (www.assnat.qc.ca), novembre 2014.
  • Loi sur la fiscalité municipale (RLRQ, c. F-2.1), à jour au 2017-11-30, LégisQuébec (www.legisquebec.gouv.qc.ca), consulté le 2018-02-06.

[1] Lors de sa mise en vigueur, en 1972, la Loi sur l’évaluation foncière définit la valeur marchande (art. 1, par. q) et cette définition précise notamment que « ce prix pouvant, au cas d’absence ou d’insuffisance du marché ou de ses données, être établi uniquement selon la valeur physique dépréciée ou selon la valeur économique actuelle et potentielle, ou selon l’une et l’autre ». La notion de valeur marchande est toutefois retirée de cette loi en 1973, remplacée par celle de valeur réelle, mais sans définition.

[2] Le texte législatif exact accordant, dans la LFM, ce nouveau pouvoir de réglementation est le suivant :

  1. Le gouvernement peut adopter des règlements pour :

[…]

10° prescrire, pour les immeubles à vocation unique de nature industrielle ou institutionnelle qu’il définit, une méthode d’évaluation compatible avec les dispositions de l’article 44, la méthode pouvant varier selon les catégories d’immeubles qu’il détermine;