4.21 Unité d’évaluation

Présentation et sommaire

Une unité d’évaluation désigne un immeuble, une partie d’immeuble ou plusieurs immeubles formant une seule entité aux fins de l’établissement de leur valeur et de leur inscription au rôle d’évaluation foncière d’une municipalité. La composition de chaque unité d’évaluation est déterminée par l’évaluateur municipal, en application de critères définis par la loi. Cette composition peut cependant faire l’objet de recours en révision.

Avant les années 1970, les lois n’exigent pas la considération d’entités aux fins d’inscription dans les rôles d’évaluation, la tendance étant plutôt à la segmentation. L’exigence, issue de la réforme administrative instaurée en 1977, de représenter graphiquement l’assiette des terrains portés aux rôles introduit alors le concept d’unité d’évaluation, fondé sur le regroupement d’immeubles correspondant à certains critères. À compter de 1980, la Loi sur la fiscalité municipale confirme l’unité d’évaluation comme assise de l’ensemble des travaux d’évaluation municipale au Québec, ce qui rationalise le nombre d’inscriptions dans les rôles et favorise une plus grande rigueur dans l’identification de l’objet de l’évaluation. Depuis 2011, les exigences techniques relatives aux unités d’évaluation sont intégrées au système d’information géographique, un fichier permanent prévu au processus de confection et de tenue à jour des rôles d’évaluation.

Modalités d’inscription dans les rôles d’évaluation avant 1975

La confection des premiers rôles d’évaluation au Bas-Canada remonte à 1796, sous le Régime britannique. Ces rôles servent alors à imposer une cotisation aux citoyens des cités de Québec et Montréal, pour contribuer à y financer les travaux de voirie. À compter de 1855, l’exigence de dresser de tels rôles est étendue à toutes les municipalités, pour servir de base à la taxation générale. Puis, à la suite de l’instauration des compétences provinciales, les règles régissant l’évaluation municipale sont transposées, à partir de 1871, dans le Code municipal et dans la Loi des cités et villes (LCV).

Bien que ces différentes lois énumèrent les éléments que doivent contenir les rôles, elles ne comportent alors pas d’exigences quant aux entités à considérer dans les inscriptions qui y sont requises. À l’inverse, au 19e siècle, différents biens meubles et immeubles assujettis à la taxation municipale doivent être évalués distinctement aux rôles d’évaluation [1]. C’est notamment le cas, selon les époques, pour :

 

  • la valeur annuelle des biens-fonds imposables;
  • la valeur réelle des biens-fonds imposables;
  • la valeur du commerce ou métier de tout marchand, fabricant, commerçant ou maître ouvrier;
  • la valeur de l’office de divers professionnels (juge, avocat, notaire, médecin, chirurgien, ingénieur, etc.);
  • le montant du loyer annuel payé par chaque locataire;
  • la valeur moyenne estimée des fonds de marchandises ou effets de commerce.

D’abord introduite dans les chartes des cités de Québec (1868) et de Montréal (1898), une nouvelle règle exige que la valeur de chaque lot soit estimée séparément, sauf si un bâtiment est érigé sur plusieurs lots ou si ceux-ci ne forment qu’une seule exploitation, auxquels cas une évaluation globale peut être établie. Une règle analogue de segmentation des valeurs au rôle est ensuite intégrée à la LCV quant à toute subdivision cadastrale enregistrée (LCV, art. 533).

Devant la nécessité, constatée par la Commission Bélanger en 1965, de réformer la fiscalité municipale au Québec, il s’avère que l’hétérogénéité et la fiabilité discutable des méthodes alors utilisées rendent ce projet irréalisable sans réformer d’abord l’évaluation foncière sur des bases uniformes et plus scientifiques. Après analyse de problématiques exposées par les estimateurs municipaux quant à la complexité d’évaluer distinctement les divers droits de propriété, cette commission recommande notamment au gouvernement d’exiger que les immeubles soient inscrits au rôle au seul nom du propriétaire du fonds, sans égard aux morcellements pouvant résulter de conventions particulières.

Entrée en vigueur en 1972, la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) rassemble toutes les dispositions relatives à l’évaluation foncière, antérieurement contenues dans diverses lois ou chartes particulières. Elle instaure plusieurs mesures pour assujettir toutes les municipalités aux mêmes règles d’établissement des évaluations, de façon à obtenir des résultats comparables partout. Entre autres, cette loi clarifie significativement les inscriptions aux rôles d’évaluation en exigeant que :

  • seuls les immeubles sont inscrits au rôle et doivent l’être (seulement) à leur valeur réelle (art. 8);
  • ceux-ci sont portés au rôle au nom du propriétaire du fonds de terre, sauf si un bâtiment privé occupe le terrain d’un organisme public (art. 11);
  • la valeur locative des immeubles sur lesquels toute municipalité veut imposer une taxe d’affaires doit faire l’objet d’un rôle de la valeur locative, distinct du rôle d’évaluation et répertoriant les locaux ou terrains visés, lesquels y sont inscrits au nom de leur occupant (art. 28 à 32).

Quant aux entités immobilières à considérer, la LEF n’exige plus la segmentation des évaluations par lots cadastraux, contrairement à certaines dispositions qu’elle remplace. Par contre, elle ne l’interdit pas non plus et continue de prévoir que les terrains et bâtiments ne formant qu’une seule et même exploitation, peuvent être évalués comme un tout (art. 7, al. 4).

Mise en application du concept d’unité d’évaluation à des fins graphiques (1975-1979)

Au-delà de la réforme législative que crée la LEF, cette loi jette aussi les premières bases d’une réforme « administrative », en prévoyant l’imposition de règles précises quant à la confection des rôles d’évaluation. Les ordonnances ministérielles et le Règlement numéro 1, édictés en 1977, ainsi que l’usage obligatoire du Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ) conduisent à implanter des rôles d’évaluation dits « de nouvelle génération », établis selon des moyens uniformes (principes, moyens de preuve, formulaires, etc.). Cela conduit notamment à dresser un premier inventaire global et cohérent du patrimoine immobilier québécois.

Un volet fondamental de cette réforme impose d’abord à chaque évaluateur d’inventorier graphiquement le territoire municipal sous sa responsabilité, à partir des plans cadastraux et des titres de propriété. L’assiette  géographique de chaque terrain ainsi répertorié est ensuite immatriculée selon une grille de repérage à référence spatiale. Pour assurer la rigueur et l’uniformité de ce système novateur, le concept d’« unité d’évaluation » est documenté au MEFQ (Volume 3 – Matrice graphique) en 1975 et son application s’intègre à l’élaboration des éléments graphiques[2] exigés. On y expose les critères devant régir simultanément la formation de toute entité immobilière à inscrire au rôle :

 

  • la possession du bien-fonds à titre de propriétaire;
  • l’utilisation ou l’exploitation pour une même fin;
  • la connexité ou l’inter-accessibilité des parcelles de terrain, lorsqu’il y en a plusieurs;
  • la non-cessibilité par parties, dans une perspective à court terme.

Dans le cadre d’un programme de perfectionnement diffusé de 1975 à 1979, entre autres pour former tous les praticiens à l’application uniforme de ces critères, un module de cinq jours porte sur l’élaboration de la matrice graphique (module A-1).

Instauration législative et réglementaire de l’unité d’évaluation (depuis 1980)

À compter de 1980, la Loi sur la fiscalité municipale (LFM) réunit, en une même loi, de nouvelles dispositions fiscales et celles régissant déjà l’évaluation foncière. Sans remettre en cause les pratiques déjà exigées en ce domaine depuis 1977, elle accorde une importance accrue au concept d’unité d’évaluation, en voie d’intégration aux éléments graphiques prescrits pour la confection des rôles de nouvelle génération. La LFM confirme alors l’unité d’évaluation comme assise de l’ensemble des travaux d’évaluation municipale au Québec. À ce sujet, elle :

  • exige que les immeubles portés au rôle y soient inscrits par unités d’évaluation (art. 33);
  • définit l’unité d’évaluation comme le plus grand ensemble possible d’immeubles correspondant aux quatre critères déjà connus (même propriétaire, même utilisation, connexité et non-cessibilité à court terme) (art. 34);
  • appuie l’ensemble des dispositions régissant l’évaluation foncière sur cette définition, notamment celles relatives à l’établissement de la valeur réelle[3] (art. 42 à 45.1) et à la prise en compte de l’état des immeubles évalués (art. 46);
  • permet aux contribuables de demander la révision du contenu de l’unité d’évaluation inscrite au rôle, soit pour réunir plusieurs immeubles en une même unité, soit pour en fractionner la composition en plusieurs (art. 124, par. 3°).

Bien qu’ayant suscité de vifs débats préalablement à leur adoption[4], ces dispositions générales de la LFM concernant l’unité d’évaluation demeurent ensuite pratiquement inchangées. Depuis 1980, elles favorisent, l’uniformité des travaux d’évaluation foncière, notamment par une plus grande rigueur dans l’identification de l’objet de l’évaluation. D’autres dispositions régissent des cas plus particuliers, tels les chemins de fer (art. 37), les immeubles divisés sur le plan vertical (art. 38), les roulottes devenues immeubles (art. 40), les copropriétés (art. 41), les constructions faisant partie d’un réseau de télécommunication sans fil (art. 41.1, introduit en 1999) et les pipelines (art. 41.0.1, introduit en 2006).

Le concept d’unité d’évaluation mis en vigueur législativement en 1980 sert ensuite de référence dans l’ensemble de la réglementation en matière d’évaluation foncière, particulièrement en ce qui concerne le rôle d’évaluation foncière (depuis 1984), la proportion médiane (depuis 1980), l’évaluation des immeubles à vocation unique (depuis 1998), l’avis d’évaluation (depuis 1980) et les plaintes ou demandes de révision (depuis 1984). Malgré certaines réticences initiales[5], ce concept s’intègre graduellement dans les pratiques de l’ensemble des évaluateurs municipaux, y compris dans les normes de pratique professionnelle des évaluateurs agréés, en application depuis 1989,

De façon analogue, l’ensemble des consignes énoncées au MEFQ depuis 1984 sont harmonisées aux dispositions législatives et réglementaires sur l’unité d’évaluation, particulièrement le guide méthodologique intitulé « Processus de traitement du rôle d’évaluation », initialement publié en 1994.

 

Modernisation des règles normatives sur l’unité d’évaluation (depuis 2011)

Alors que la plupart des volumes composant le MEFQ font l’objet de plusieurs révisions ou actualisations depuis leur diffusion initiale, le volume 3 (Matrice graphique), qui documente techniquement la façon de créer et de modifier les unités d’évaluation, ne fait l’objet d’aucune mise à jour depuis sa publication, en 1975. Bien que les principes et critères qui y sont énoncés demeurent conformes aux dispositions législatives modernes, les données et les méthodes de traitement préconisées s’avèrent très désuètes en 2010, alors que l’édition modernisée du MEFQ acquiert un caractère officiel.

Publiée à compter de 2011, la partie 2B du MEFQ modernisé remplace alors le volume 3 existant, qui demeure toutefois valide pour la période transitoire prévue au règlement. Cette portion du MEFQ tient compte des technologies modernes pour énoncer les consignes applicables au système d’information géographique (SIG) prévu au processus de confection et de tenue à jour des rôles d’évaluation. Elle décrit les exigences minimales quant à la structuration, à la mise à jour, à la diffusion publique et au transfert des 33 renseignements géographiques ainsi prescrits, répartis en six sections (repères, cadastre, unité de voisinage, unité d’évaluation, etc.). La section propre à l’unité d’évaluation compte 12 renseignements (mesure de front, superficie totale, adresse, immatriculation, etc.)

Dans le cadre d’un programme de formation de transition mis sur pied pour appuyer l’implantation de la modernisation réglementaire instaurée en 2010, un module d’une journée portant sur le SIG est diffusé annuellement, de 2013 à 2016. 

Données statistiques sur l’historique du nombre d’unités d’évaluation

L’examen des données statistiques disponibles, depuis 1988, sur le nombre d’unités d’évaluation inscrites aux rôles d’évaluation de toutes les municipalités du Québec révèle notamment que :

  • le nombre total d’unités d’évaluation s’est accru d’environ 40% en un peu plus de 30 ans, témoignant ainsi de la croissance du morcellement immobilier québécois durant cette période (ex. : développements résidentiels, copropriétés, etc.);
  • cette croissance n’est pas constante, atteignant des sommets annuels de plus de 1,5% (1989 à 1992 et 2006 à 2009) et des creux autour de 0,5% (1997 à 2003);
  • la croissance du nombre moyen d’unités d’évaluation par rôle est amplifiée par la diminution importante du nombre de municipalités, suite aux regroupements des années 2002 et 2003.

Sources de référence utilisées aux fins de la présente capsule

  • Acte des municipalités et des chemins de 1855 (18 Vict., c. 100), sanctionné le 1855-05-30, https://books.google.ca.
  • Code municipal de la Province de Québec, (34 Vict. c. 68), sanctionné le 1870-12-24, https://books.google.ca.
  • Acte des clauses générales des corporations de ville (40 Vict., c. 29), sanctionné le 1876-12-28.
  • Charte de la cité de Québec (19 Geo. V, chap. 95) avec amendements au 1960-03-10, article 200, par. 1°, Éditeur officiel du Québec, p. 80.
  • Loi révisant et refondant la charte de la cité de Montréal (8-9 Eliz. II, chap. 102), sanctionnée le 1960-03-10, article 818, par. b, Éditeur officiel du Québec, pp. 292.
  • Lois et jurisprudence concernant les cités et villes de la province de Québec, Jacques Viau, c.r., Wilson & Lafleur, 1971, art. 533.
  • Journal des débats, Commission permanente des Affaires municipales, Séance 12 décembre 1979, Site web de l’Assemblée nationale (www.assnat.qc.ca).
  • Loi sur l’évaluation foncière (RLRQ, chapitre E-16), à jour au 31 décembre 1979, LégisQuébec (www.legisquebec.gouv.qc.ca).
  • Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (Marcel Bélanger, prés.) Gouvernement du Québec, décembre 1965, pp. 294-295.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Volume 3 Matrice graphique, Éditeur officiel du Québec, septembre 1975, pp. 2/09 à 2/11.
  • Le règlement en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la LEF et documents connexes (cahier d’information), Ministère des Affaires municipales, 1977, complément explicatif no III.
  • Réglementation sur le rôle d’évaluation foncière, Gazette officielle du Québec : 1977-03-23 G.O.2, 1183, 1283; 1983-11-09 G.O.2, 4464; 1988-09-21 G.O.2, 4915 ; 1989-06-21 G.O.2, 3144 ; 2010-08-04 G.O.2, 3533.
  • Système d’information géographique (Module 4 du programme de formation de transition sur la modernisation), AEMQ-MAMOT-OEAQ, mars 2015, 112 pages.
  • Pour en finir un jour!, Mot de la présidente, Sonya Auclair É.A., Le Faisceau, printemps 2016, p. 3.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition 2018, partie 2B-Système d’information géographique, pp. 2B-1 à 2B-4 et 2B-42 à 2B-76.
  • Sommaire des rôles d’évaluation foncière – Ensemble du Québec (années 1988 à 2019), Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, janvier 2019.
  • Loi sur la fiscalité municipale (RLRQ, c. F-2.1), à jour au 2019-03-01, LégisQuébec (www.legisquebec.gouv.qc.ca), consulté le 2019-04-25.

[1] Il est à noter qu’à cette époque, la valeur locative ne fait pas l’objet d’un rôle distinct, tel qu’instauré à partir de 1972. C’est donc le rôle d’évaluation qui répertorie toutes les bases d’imposition prévues par la loi. Celui-ci prend généralement la forme d’un grand livre comptable comprenant plusieurs colonnes, y compris celles relatives à la perception des différentes taxes municipales et scolaires.

[2] Prescrits à l’ordonnance ministérielle et au règlement de 1977, les éléments graphiques du système d’information comprennent trois éléments à réaliser sur une carte du territoire où se trouvent les immeubles à évaluer : la représentation graphique de chaque unité d’évaluation, le système d’immatriculation de chacune d’elles, ainsi que la représentation graphique de chaque unité de voisinage.

[3] Malgré que les dispositions de la LFM désignent l’unité d’évaluation comme une entité donnant lieu à l’établissement d’une seule valeur réelle à inscrire au rôle (sous réserve de dispositions visant une partie seulement de l’unité), la réglementation régissant le contenu des rôles d’évaluation et des avis d’évaluation exige une ventilation des valeurs de terrain et de bâtiments.

[4] Lors de l’étude détaillée du projet de LFM, en décembre 1979, les critères relatifs à la définition d’une unité d’évaluation suscitent des mésententes. Alors que le ministre Guy Tardif plaide pour « unir dans les rôles ce que les lois du marché unissent normalement », les opposants à cette disposition invoquent la perte d’informations utiles quant aux valeurs distinctes des immeubles, ainsi que la trop grande latitude accordée aux évaluateurs municipaux dans l’application de ces critères.

[5] L’obligation de dresser les rôles par unité d’évaluation modifie les pratiques antérieures consistant à inscrire au rôle des valeurs distinctes de certains bâtiments (ex. : chalet) ou portions de terrain (ex. : subdivisions cadastrales). En dépit des dispositions en vigueur à partir de 1980, cette pratique de ventiler les valeurs attribuées à certaines unités d’évaluation, à même le rôle ou dans une liste annexée (dossiers inactifs), subsiste pendant quelques années. Cela vise surtout à faciliter la répartition des taxes entre divers occupants ou selon les besoins des contribuables.