4.20 Unité de voisinage

Présentation et sommaire

L’unité de voisinage est un regroupement d’unités d’évaluation situées dans un même environnement et présentant des caractéristiques homogènes. Délimitée par l’évaluateur municipal dans le processus de confection d’un rôle d’évaluation, chaque unité de voisinage constitue un bassin d’analyse et de comparaison permettant d’évaluer, avec les mêmes paramètres, plusieurs propriétés ayant des traits communs.

D’abord exigée en 1977 comme un découpage territorial à intégrer à la matrice graphique, l’unité de voisinage devient aussi prescrite, à compter de 1984, comme base de classement et d’analyse des données du marché. Plus amplement documentées au Manuel d’évaluation foncière du Québec depuis 1994, les données relatives à l’établissement et à la description des unités de voisinage forment désormais un fichier permanent que l’évaluateur municipal doit maintenir à jour.

Raison d’être de l’unité de voisinage en évaluation municipale

La confection d’un rôle d’évaluation foncière consiste à évaluer simultanément l’ensemble des propriétés situées sur le territoire d’une municipalité. Ce processus comporte un grand nombre d’opérations concernant des immeubles de catégories variées, souvent dispersés sur un territoire d’inégale désirabilité.

Pour résoudre cette difficulté particulière à l’évaluation foncière dite « de masse »[1], il est rationnel de découper le territoire municipal visé, en regroupant les propriétés en ensembles géographiques homogènes, appelés « unités de voisinage ». Chaque unité de voisinage constitue un sous-ensemble, caractérisé par les traits communs des immeubles qui s’y trouvent. Cette façon de faire simplifie le travail d’analyse, de comparaison et d’application des paramètres établis pour déterminer les évaluations à inscrire au rôle.

Prescrit par la réglementation et compris au processus décrit au Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ), le fichier descriptif des unités de voisinage est un fichier permanent dont les données sont continuellement tenues à jour pour tenir compte des changements physiques, économiques ou politiques qui influencent les inscriptions au rôle pendant toute sa durée (trois ans), ainsi qu’entre les rôles successifs.

Premiers outils de regroupement par secteur d’influence

Prenant origine sous le Régime britannique, les dispositions législatives régissant les pratiques québécoises d’évaluation foncière municipale sont transposées, à compter de 1871, dans le Code municipal et dans la Loi des cités et villes, ainsi que dans les chartes particulières à certaines villes. Pendant environ 100 ans, ces dispositions sont appliquées individuellement par chaque municipalité[2] et, bien que souvent modifiées, elles ne font pas mention des techniques de regroupement à utiliser par les estimateurs[3] municipaux.

Le découpage du territoire menant à l’établissement des valeurs réelles aux rôles d’évaluation relève alors du choix des estimateurs locaux, selon des situations qui sont très variées (milieux urbains, ruraux, industriels, forestiers, agricoles, etc.).

En cette matière, un outil de travail reconnu[4] dans les pratiques d’évaluation municipale d’avant 1975 est le « tax-map ». Créé ou remis à jour aux fins de la confection de chaque rôle d’évaluation, ce document est constitué d’une ou de plusieurs cartes représentant une compilation de tous les terrains[5] du territoire visé, avec l’identification de chaque propriétaire ou une référence au dossier concerné. Comme un tel plan fournit une vue d’ensemble des éléments influents sur la désirabilité des sites (ventes, zonage, routes, plans d’eau, etc.), l’estimateur y délimite d’abord des secteurs d’influence, pour chacun desquels il établit ensuite une valeur unitaire (de superficie, de front ou autre),  applicable à l’ensemble des terrains qui y sont situés.

Standardisation des regroupements de propriétés aux fins d’évaluation municipale

Devant la nécessité de procéder à une réforme de la fiscalité municipale au Québec, fondée sur le raffermissement de l’impôt foncier, deux commissions royales d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) signalent de graves lacunes en matière d’évaluation foncière, notamment quant à l’hétérogénéité et à la fiabilité discutable des méthodes d’évaluation utilisées à cette fin. Ces commissions concluent à l’impossibilité de réformer la fiscalité municipale sans réformer d’abord l’évaluation foncière, dont la fiabilité est jugée préalablement essentielle.

Au cours des années 1970, le gouvernement du Québec prend donc les moyens nécessaires pour assujettir toutes les municipalités aux mêmes règles d’établissement des évaluations, de façon à obtenir des résultats comparables partout. En vigueur à compter de 1972, la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) rassemble et adapte les dispositions relatives à l’évaluation foncière, antérieurement contenues dans diverses législations. Elle universalise également plusieurs exigences nouvelles pour ainsi constituer la réforme de l’évaluation foncière.

Une ordonnance ministérielle rendue en mars 1977, exige des municipalités qu’elles confectionnent leur premier rôle « de nouvelle génération », au plus tard pour l’année 1984. Elle impose à cette fin de réaliser 10 étapes obligatoires. Aussi adopté en mars 1977, le Règlement numéro 1 présente le cheminement à suivre quant à la réalisation des étapes de confection de tels rôles et impose aux évaluateurs municipaux de se conformer aux consignes de l’édition 1976 du MEFQ.

 

La définition d’unités de voisinage ne constitue pas une étape spécifiquement visée par la réglementation de 1977. Elle est toutefois mentionnée comme élément préparatoire à l’évaluation des terrains, dans le cheminement prévu par ce règlement, lequel exige aussi que leur délimitation soit cartographiée conformément au volume 3 du MEFQ[6].

À compter de 1984, les prescriptions réglementaires sont plus explicites quant aux unités de voisinage. Outre leur incorporation aux éléments graphiques du système d’information, le Règlement numéro 2 exige alors que :

  • l’évaluateur définisse, conformément au MEFQ, des unités de voisinage comprenant des propriétés aux caractéristiques homogènes;
  • ces unités servent à des fins d’analyse et de comparaison dans le processus d’évaluation;
  • les formulaires composant le fichier central des données du marché soient classés selon ces unités.

Pour assurer le respect de ces exigences, le MAM vérifie ensuite systématiquement la conformité des documents concernés, jusqu’en 1985. Les subventions prévues par le Programme d’aide à l’implantation des rôles d’évaluation sont autorisées à partir des constats ainsi effectués, de même que les retenues d’argent afférentes aux correctifs requis.

 

Évolution des exigences réglementaires et normatives quant aux unités de voisinage

Même après la réalisation de tous les rôles de nouvelle génération du Québec, les exigences de la réglementation sur le rôle d’évaluation foncière (RREF) et du MEFQ poursuivent leur évolution. Il en est de même pour les normes de pratique professionnelle (NPP) des évaluateurs agréés, applicables au domaine de l’évaluation municipale. Concernant les exigences réglementaires et normatives sur les unités de voisinage, les modifications significatives instaurées de 1988 à 1999, sont résumées au tableau suivant :

Changements aux exigences réglementaires et normatives quant aux unités de voisinage

Année* Nature du changement apporté aux exigences
1988 Exigence de démontrer les variations de valeur résultant de l’équilibration du rôle, notamment sur la base des unités de voisinage (RREF, art. 40)
1989 Introduction de la possibilité de regrouper plusieurs unités de voisinage aux fins de la vérification des conditions de location des immeubles (RREF, art. 36)
1990 Raffermissement de la définition officielle d’unité de voisinage, par la précision qu’elle doit comprendre des unités d’évaluation proches les unes des autres et qui se trouvent dans un environnement similaire (RREF, art. 12)
1990 Exigence normative de justifier le découpage des unités de voisinage définies par l’évaluateur et, à cette fin, de décrire ces unités par l’identification des caractéristiques propres à chacune (NPP, VI-3.7).
1994 Publication d’un guide méthodologique sur les unités de voisinage, au volume 2 du MEFQ (Processus de traitement du rôle d’évaluation). Bien qu’inspiré du contenu antérieurement diffusé aux fins du perfectionnement des évaluateurs, ce guide instaure la « Fiche descriptive des unités de voisinage » et précise davantage la méthodologie à suivre pour les établir et les représenter graphiquement.
1999 Exigence normative de regrouper toutes les unités d’évaluation en unités de voisinage dans un fichier permanent et d’en tenir continuellement à jour la configuration et le contenu pour tenir compte des changements de caractéristiques (NPP, règle 20.1.3).

*Année de mise en vigueur des changements (peut différer de celle de leur publication)

Modernisation du fichier des unités de voisinage

En 2010, d’importants changements réglementaires et normatifs sont introduits pour adapter les pratiques d’évaluation foncière municipale au contexte professionnel et technologique contemporain. Cette modernisation vise principalement le contenu de tout dossier d’évaluation et, par extension, toutes les opérations qui y sont reliées dans le processus québécois d’évaluation foncière municipale.

Prescrite par des changements substantiels apportés au Règlement sur le rôle d’évaluation foncière (RREF) en août 2010, l’édition modernisée du MEFQ remplace alors l’ensemble des volumes formant le manuel existant, qui demeure toutefois valide pour une période transitoire. Cette modernisation du MEFQ se caractérise notamment par une restructuration complète de son contenu, désormais calqué sur les étapes du processus prescrit de confection et de tenue à jour du rôle d’évaluation foncière.

Décrite au chapitre 4 du volume 2 de l’édition antérieure du MEFQ, la méthodologie concernant les unités de voisinage fait l’objet de la partie 2D de l’édition modernisée. Bien que plusieurs éléments précédents y soient reconduits, celle-ci comporte aussi des nouveautés qui s’avèrent déterminantes, dont notamment :

  • l’instauration de la notion de « fichier » des unités de voisinage, formé d’un ensemble défini de descriptions pouvant être générées informatiquement à partir des autres fichiers permanents;
  • l’obligation de tenir à jour la description de chaque unité de voisinage, conformément au contenu et à la structure prévus au MEFQ pour faciliter les comparaisons et les regroupements;
  • des normes universelles de transmission électronique des renseignements formant le fichier des unités de voisinage, afin d’assurer la cohérence des transmissions entre tous les intervenants concernés.

En 2013, l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec adopte une nouvelle norme de pratique en matière d’évaluation municipale (Norme 20.1), notamment pour s’harmoniser à la structure et à la terminologie des prescriptions gouvernementales modernisées. Les changements réglementaires relatifs au fichier des unités de voisinage y sont entièrement pris en compte, sans imposer d’exigences supplémentaires aux évaluateurs agréés à ce sujet.

ANNEXE – Nombre d’unités de voisinage et d’unités d’évaluation au Québec

 Présenté à la section « Faits saillants » du sommaire de chaque rôle d’évaluation, le dénombrement complet des unités de voisinage existe depuis 1991. L’historique du nombre d’unités de voisinage et d’unités d’évaluation révèle que :

  • le nombre total d’unités d’évaluation s’est accru d’environ 30%, en 27 ans ;
  • le nombre total d’unités de voisinage a graduellement diminué d’environ 13% durant la même période (de 100 419 à 87 532) ;
  • le nombre moyen d’unités d’évaluation par unité de voisinage s’est considérablement accru (passant de 28 à 41).

 Sources de référence utilisées aux fins de la présente capsule

  • Manuel d’estimation des biens-fonds, Ville de Montréal, Troisième édition, 1954, pp. 113 à 117.
  • Évaluation municipale au Québec, Jean B. Grenier, Les Estimateurs associés Inc., 1969, pp. 21 à 25.
  • Critères de délivrance des permis d’évaluation pour les fins de la Loi sur l’évaluation foncière, Gazette officielle du Québec, 1972-03-11 G.O.2, 2319.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Volume 3 Matrice graphique, Éditeur officiel du Québec, septembre 1975, pp. 1/07 et 1/08.
  • Programme de perfectionnement en évaluation foncière, Session A – Le processus d’évaluation, octobre 1976, pp. VII-j-2/01 à 06.
  • La réforme administrative de l’évaluation foncière (Programme de formation des cadres municipaux), Ministère des Affaires municipales, mars 1977, p. 40.
  • Gazette officielle du Québec : 1977-03-23 G.O.2, 1183, 1283; 1983-11-09 G.O.2, 4464; 1985-10-16, G.O.2, 6064; 1988-09-21 G.O.2, 4915; 1989-06-21 G.O.2, 3144; 1994-09-21 G.O.2, 5702; 2010-08-04 G.O.2, 3533.
  • Les normes de pratique des évaluateurs agréés – Guide, Corporation professionnelle des évaluateurs agréés du Québec, juillet 1989.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec, Volume 2 – Processus de traitement du rôle d’évaluation, chapitre 4, Les Publications du Québec, septembre 1994.
  • Guide de pratique professionnelle, Ordre des évaluateurs agréés du Québec, août 1998, Norme 20.
  • Éléments de base caractérisant la modernisation (Module 1 du programme de formation de transition sur la modernisation), MAMROT, novembre 2011, pp. 31 à 33.
  • Évaluation foncière et fiscalité municipale (Bloc EMUN du programme de formation professionnelle), Ordre des évaluateurs agréés du Québec, novembre 2014, pp. 46 à 49.
  • La nouvelle norme de pratique professionnelle en matière d’évaluation municipale (Norme 20.1) – Cahier du participant, Ordre des évaluateurs agréés du Québec, novembre 2015, p. 14.
  • Manuel d’évaluation foncière du Québec – Édition modernisée 2018, partie 2D, pp. 2D-1 à 2D-3.

[1] Les termes « évaluation de masse » désignent l’établissement de la valeur réelle de plusieurs propriétés à une même date, en utilisant des paramètres communs, notamment obtenus par des moyens statistiques. Ainsi, l’analyse des conditions du marché observées sur un nombre restreint d’immeubles (généralement ceux récemment construits ou vendus) permet d’inférer des paramètres applicables aux caractéristiques des autres propriétés qui leur sont comparables. Cette façon de procéder se distingue de l’expertise individuelle consistant à évaluer une seule propriété et à concentrer la collecte et l’analyse des renseignements en fonction de ce seul immeuble.

[2] En 1971, le Québec compte 1 662 municipalités, dont 264 ont le statut de cité ou de ville.

[3] Seul le terme « estimateur » désigne alors les personnes légalement responsables de dresser les rôles d’évaluation foncière des municipalités. Il est remplacé par le terme « évaluateur », introduit à compter de 1972 par la Loi sur l’évaluation foncière.

[4] À compter de 1972, les connaissances quant à préparation d’un plan de compilation des terrains ou « tax-map » sont l’un des six critères que mesure la Commission municipale du Québec aux fins de la délivrance d’un permis d’évaluateur municipal.

[5] Aussi appelée « plan de balancement », cette compilation cartographique de tous les terrains du territoire visé sert alors à délimiter l’occupation réelle de chacun, sans chevauchement ni omission.

[6] Publié en 1975 et intitulé « Matrice graphique », le volume 3 du MEFQ détaille surtout la façon de réaliser une compilation graphique du territoire à évaluer, d’y représenter les unités d’évaluation et d’y incorporer un système d’immatriculation universel. Bien que les termes « unité de voisinage » soient instaurés par ce volume, les modalités de leur établissement y sont peu décrites et leur délimitation est présentée comme une couche d’information graphique parmi d’autres.