Un brin d’histoire – le manuel d’évaluation foncière du Québec : (presque) 50 ans d’histoire
Auteur
ALAIN RABY
RECHERCHISTE ET RÉDACTEUR DES CAPSULES HISTORIQUES PUBLIÉES DANS HISTÉVAL
Le Manuel d’évaluation foncière du Québec est un ouvrage de référence produit et diffusé par le gouvernement du Québec. Son usage est prescrit pour encadrer la confection et la tenue à jour de tous les rôles d’évaluation foncière, dont il documente l’exécution. Cette exigence assure l’uniformité méthodologique des pratiques en ce domaine, considérant qu’elles s’exercent dans un contexte décentralisé.
LA NÉCESSITÉ D’UN MANUEL DE RÉFÉRENCE QUÉBÉCOIS
Pendant plus de 20 ans avant sa mise en œuvre, une réforme de l’évaluation foncière est réclamée par divers experts, à la fois pour raffermir la crédibilité de l’impôt foncier et pour assurer la fiabilité des données essentielles à la réalisation de réformes fiscales nécessaires.
Plusieurs commissions d’enquête et groupes de travail (Tremblay-1956, Bélanger-1965, Boulet-1969) signalent à la fois l’absence, l’incohérence et l’improvisation des moyens utilisés par les estimateurs de l’époque, déplorant vivement les injustices qui en résultent. Ils recommandent unanimement l’uniformisation législative et normative de l’évaluation foncière, préalablement à toute réforme fiscale. La promulgation de normes d’évaluation en est un volet fondamental et l’adoption d’un manuel québécois d’évaluation est présentée comme étant incontournable.
En novembre 1969, des comités techniques sont désignés pour élaborer un avant-projet de loi, ainsi qu’un manuel d’évaluation foncière. Bien qu’au départ, d’importantes divergences existent entre les spécialistes affectés à ces travaux, une ébauche de manuel est livrée au ministre à l’automne 1970. La mise en vigueur de la Loi sur l’évaluation foncière, en 1972, ouvre une voie officielle au manuel projeté, par le fait qu’elle accorde au ministre le pouvoir d’imposer la forme et le contenu du rôle, ainsi que les méthodes et normes d’établissement de la valeur à y inscrire.
La Direction générale de l’évaluation foncière du ministère des Affaires municipales (MAM) est aussitôt créée, avec pour mandat principal de finaliser et de diffuser l’ouvrage intitulé Manuel d’évaluation foncière du Québec (MEFQ). Un comité spécifique de la Corporation des évaluateurs agréés du Québec participe à cette tâche initialement sous-estimée, qui nécessitera deux autres années.
UNE HISTOIRE ÉTALÉE EN 46 VOLUMES ET GUIDES, RÉPARTIS EN 5 ÉDITIONS
Une édition de rodage du MEFQ est d’abord diffusée par le MAM au printemps 1974, à la suite de travaux menés en collaboration avec plusieurs services municipaux d’évaluation. Elle est composée de 6 volumes et guides, qu’il n’est toutefois pas permis d’utiliser immédiatement pour confectionner des rôles.
La première édition du MEFQ, désignée dans la réglementation comme étant « l’édition 1976 du Manuel », comporte 13 volumes et appendices distincts, publiés de 1974 à 1981. Son usage, obligatoire à compter de 1977, est l’un des éléments moteurs de la réforme administrative de l’évaluation foncière consistant à implanter partout au Québec, des rôles d’évaluation « de nouvelle génération » établis selon des moyens uniformes. À cette fin, le MEFQ initial instaure les premiers répertoires de coûts unitaires et les fiches techniques afférentes, ainsi qu’un système de cartographie et d’immatriculation des propriétés.
La deuxième édition du MEFQ, comptant 4 volumes et guides, s’avère marquante par la publication, en 1984, de nouveaux répertoires de coûts unitaires actualisés en base 1983 pour l’ensemble des bâtiments à évaluer. Elle instaure également l’utilisation du système international de mesures (SI) en évaluation foncière – d’où l’appellation « édition métrique » -, ainsi que des fiches de propriété révisées, désormais conçues en fonction de leur informatisation.
Les 5 volumes formant la troisième édition du MEFQ, publiés de 1992 à 2001, apportent du renouveau dans les pratiques d’évaluation municipale au Québec, répondant ainsi aux besoins exprimés par les praticiens. En plus des répertoires de coûts unitaires actualisés en base 1997, cette édition comporte divers guides méthodologiques inédits et déterminants. Outre ce renouveau professionnel, le MEFQ fait aussi l’objet, à compter de 1999, d’un virage technologique majeur : la diffusion électronique sur cédérom et l’abandon des volumes en papier.
L’édition « modernisée » du MEFQ est une composante majeure des changements réglementaires apportés en 2010, notamment pour alléger les renseignements descriptifs requis quant aux bâtiments. Écartant la structuration par « volumes », cette édition segmente le MEFQ en 18 parties correspondant aux étapes du processus prescrit de confection et de tenue à jour du rôle d’évaluation foncière. Outre cette révision de forme, l’édition modernisée du MEFQ est adaptée aux exigences contemporaines. Ainsi, les formulaires obligatoires sont remplacés par la seule prescription de renseignements informatisés et le MEFQ est désormais diffusé exclusivement en ligne.
LES ÉLÉMENTS LES PLUS DÉTERMINANTS DU MEFQ
Étalée sur presque 50 ans, l’histoire du MEFQ comporte plusieurs développements d’ordre professionnel, méthodologique ou même technologique. Certains éléments de son contenu se sont avérés particulièrement déterminants pour l’évolution des pratiques d’évaluation municipale au Québec, notamment les suivants :
- Principes et concepts généraux en évaluation foncière (Volume 1). Initialement publié en 1974, ce volume est le premier ouvrage de référence nord-américain en langue française sur ce sujet. Il ne traite pas spécifiquement d’évaluation municipale, mais son contenu plus universel est destiné à des fins didactiques. D’ailleurs, il est ensuite largement utilisé par les institutions d’enseignement de niveaux collégial et universitaire. Depuis 2012, son contenu est intégré à la partie 1A de l’édition modernisée du MEFQ.
- Matrice graphique (Volume 3). Ce volume publié en 1975 documente un système innovateur d’identification spatiale requis pour répertorier les immeubles évalués. Près de 20 ans avant la rénovation cadastrale, il dote les évaluateurs municipaux d’outils cartographiques inédits et indispensables, particulièrement en milieu rural. Ce volume illustre alors la définition des unités d’évaluation et leur mode d’immatriculation. Depuis 2011, son contenu actualisé figure à la partie 2B de l’édition modernisée du MEFQ.
- Guide d’utilisation du formulaire 1.3 (Appendice 3B). Ce guide est intégré au MEFQ en 1975 pour standardiser les données recueillies par les évaluateurs municipaux sur les mutations immobilières, à l’aide d’un formulaire prescrit à cette fin (document cartonné à perforations marginales, aussi appelé « Carte McBee »). Outre la présentation des renseignements exigés, ce guide expose les modalités de création d’un fichier central des données du marché. Aujourd’hui adapté aux outils contemporains, cet important fichier permanent est documenté à la partie 2A de l’édition modernisée du MEFQ.
- Technique du coût (Volumes 4 et 5). À compter de 1976, ces deux volumes obligatoires assurent une application uniforme de la méthode du coût (alors appelée « technique »), distinctement pour les bâtiments résidentiels (volume 5) et non-résidentiels (volume 4). Les coûts unitaires qu’on y trouve sont mesurés pour la région de Québec, en 1972. Ces volumes exposent également les systèmes de calcul à appliquer, ainsi que la façon de décrire les bâtiments avec les fiches de propriété (1.4.1 et 1.5.1) prescrites par la réglementation. Une seconde édition de ces volumes est publiée en 1984, basée sur des coûts établis en 1983 et utilisant le système de mesures métriques, avec de nouvelles fiches de propriété (2.4.1 et 2.5.1). Une troisième version des volumes 4 et 5 est diffusée en 1998, sur la base de coûts mesurés en 1997. Leur contenu, toujours en base 1997, est aujourd’hui adapté et intégré à la partie 3E de l’édition modernisée du MEFQ.
- Processus de traitement du rôle d’évaluation (Volume 2). Publié en 1994, ce volume alors inédit détaille les activités de collecte et d’analyse comprises dans le processus d’établissement du rôle et de sa tenue à jour, sauf les sujets déjà traités par les volumes 3, 4 et 5. Il remplace ainsi les guides administratifs antérieurs (répartitions fiscales, médiane, sommaire, etc.), dont l’usage n’était pas formellement exigé. Ce volume innove particulièrement en détaillant la méthodologie d’équilibration du rôle, acte professionnel fondamental n’ayant jamais été documenté auparavant. Depuis 2010, son contenu actualisé est intégré à plusieurs parties de l’édition modernisée du MEFQ.
POUR CONCLURE
D’abord introduit – et imposé – dans les années 1970 pour uniformiser les pratiques des évaluateurs municipaux québécois aux fins d’une réforme alors essentielle, le MEFQ aura bientôt 50 ans. Son usage n’a pas toujours fait l’unanimité mais il est demeuré un ouvrage de référence hautement reconnu dans le domaine de l’évaluation municipale. Non seulement y a-t-il standardisé le savoir-faire, mais il en a été un indéniable accélérateur d’évolution, tant sur le plan professionnel que technologique.
VOUS EN SOUVIENDREZ-VOUS ?
Pour en apprendre davantage sur cet historique, consultez les capsules 2.1 à 2.5 dans HistÉval sur le site Internet
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