Un brin d’histoire… extrait de Histéval

Par Alain Raby
Recherchiste et rédacteur des capsules
historiques publiées dans histéval

LA LOI SUR L’ÉVALUATION FONCIÈRE ET LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES (1972-1979)

  Mise en vigueur en 1972, la Loi sur l’évaluation foncière (RLRQ, chap. E-16) révise et rassemble, pour la première fois, toutes les dispositions relatives à l’évaluation municipale. Par l’uniformisation des pratiques en ce domaine, elle vise à améliorer la fiabilité des évaluations foncières au Québec, en vue d’y réaliser ensuite une réforme de la fiscalité municipale.

CONTEXTE D’INSTAURATION
DE LA LOI SUR L’ÉVALUATION FONCIÈRE (LEF)

Initialement implantées de 1796 à 1855, sous le Régime britannique, les dispositions législatives régissant les pratiques québécoises d’évaluation municipale sont ensuite transposées et développées dans le Code municipal et dans la Loi des cités et villes, ainsi que dans les chartes particulières à quelques villes.

Malgré plusieurs adaptations apportées au fil des ans, l’application de ces dispositions par chaque municipalité locale s’avère graduellement inconciliable avec l’évolution économique et fiscale du Québec. Durant les décennies 1950 et 1960, l’urbanisation rapide et la croissance des responsabilités des municipalités amènent ces dernières
à réclamer des revenus additionnels, dont l’exclusivité de l’imposition foncière, alors partagée avec les commissions scolaires.

Bien que reconnaissant la nécessité de réformer la fiscalité municipale au Québec en raffermissant l’impôt foncier, deux commissions royales d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) signalent de graves lacunes en matière d’évaluation municipale, notamment quant à l’hétérogénéité et à la fiabilité discutable des méthodes utilisées à cette fin. Ces commissions concluent à l’impossibilité de réviser la fiscalité municipale sans réformer d’abord l’évaluation foncière, dont la fiabilité est une condition préalable jugée essentielle.

En 1970, le gouvernement du Québec prend les moyens nécessaires pour assujettir toutes les municipalités aux mêmes règles d’établissement des évaluations foncières. Un groupe de travail spécialisé expose alors des modalités concrètes de mise en œuvre des changements requis (rapport Boulet), dont l’adoption d’une loi unique remplaçant toutes les dispositions existantes en ce domaine.

ME MAURICE TESSIER, MINISTRE DES AFFAIRES MUNICIPALES DE 1970 À 1973

Le 28 juin 1971, sur la base de nombreux avis sollicités auprès de groupes concernés par de tels changements, le ministre des Affaires municipales, Me Maurice Tessier, présente un projet de loi intitulé « Loi sur l’évaluation foncière ». Cela marque le début d’importants débats qui ont lieu dans les mois suivants, alors que 36 mémoires, aux points de vue parfois opposés, sont présentés et débattus.

Le ministre argumente que la loi projetée veut mettre fin à l’ère des lois permissives qui favorisent la diversité d’action en évaluation municipale. Il affirme même que « l’application de normes et critères identiques et obligatoires pour tous les rôles d’évaluation chassera de façon définitive de ce domaine les amateurs, les artisans et les charlatans ».Finalement sanctionné le 23 décembre 1971, le texte officiel de la LEF (L.Q. 1971, chap. 50) entre en vigueur le 1er janvier 1972.

Il a notamment pour caractéristiques de :

  • rendre inopérantes toutes les
    dispositions législatives inconciliables relatives aux matières visées;
  • universaliser plusieurs dispositions sur l’évaluation foncière « récupérées » du Code municipal, de la Loi des cités et villes et des chartes particulières à certaines villes;
  • instaurer de nouvelles mesures recommandées par les commissions d’enquête, les groupes de travail et les travaux parlementaires ayant précédé son adoption.

PRINCIPAUX APPORTS DE LA LEF AUX PRATIQUES QUÉBÉCOISES D’ÉVALUATION FONCIÈRE

Bien que méconnue d’une majorité d’évaluateurs d’aujourd’hui, la réforme instaurée par la LEF à compter de
1972 s’avère cruciale dans l’histoire
de l’évaluation municipale au Québec, puisqu’elle donne naissance au régime actuel. L’application de cette loi génère, en effet, plusieurs apports significatifs dans l’évolution des pratiques québécoises d’évaluation foncière, contribuant ainsi à la reconnaissance graduelle de celles-ci comme une spécialité professionnelle. Les principaux apports concrets de la LEF sont :

  •   Réduction du nombre d’autorités compétentes à 343 organismes chargés de l’évaluation foncière (au lieu de 1588), soit 3 communautés, 71 conseils de comté (à compter de 1974) et 272 cités ou villes;
  • Instauration de la fonction
    d’« évaluateur » comme personne responsable de tout rôle d’évaluation sous la juridiction de chaque autorité compétente. Cette fonction est assujettie à la détention d’un permis délivré par la Commission municipale ou du titre d’évaluateur agréé obtenu à compter de 1976. Le terme « estimateur » est éliminé du vocabulaire législatif;
  • Création du Bureau de révision de l’évaluation foncière du Québec
    (BREF), à compter de 1973, pour disposer des plaintes sous la responsabilité
    du gouvernement, ce qui met fin aux révisions pouvant antérieurement
    être initiées par les autorités locales. D’abord limité à Québec et Montréal, le territoire d’intervention du BREF est graduellement élargi pour finalement couvrir tout le Québec en 1980, éliminant alors les bureaux de révision locaux
    ou régionaux;
  • Institution du certificat de l’évaluateur, signé par lui, comme unique moyen
    de modifier tout rôle déjà déposé. Cela abroge les responsabilités antérieurement exercées à ce sujet par le greffier ou le conseil municipal;
  • Introduction du concept de rôle de valeur locative, distinct du rôle foncier et facultatif pour toute municipalité, dans lequel la valeur locative est inscrite au nom de l’occupant de la partie d’immeuble visée;
  • Affirmation du droit de propriété
    de chaque municipalité sur son
    rôle d’évaluation et sur les documents rassemblés ou préparés par l’évaluateur en vue de sa confection (à compter de 1976);
      Introduction de la périodicité annuelle pour les rôles « de nouvelle génération » déposés à compter de 1977;
  • Nouveau pouvoir gouvernemental pour réglementer la forme et le contenu du rôle, ainsi que le processus administratif et les formules inhérents à sa confection et à sa tenue à jour (à compter de 1977);

POUR CONCLURE

Durant sa période d’application (1972-1979), la LEF fait l’objet de plusieurs amendements, soit pour en améliorer l’efficacité, soit pour l’adapter à l’évolution économique ou professionnelle. Remarque anecdotique : le texte final de la LEF en 1979 contient 17 254 mots, soit 54% de plus que lors de sa mise en vigueur!

Après les huit premières années d’implantation de la réforme de l’évaluation foncière, la LEF est remplacée par la Loi sur la fiscalité municipale à compter de 1980. Cette dernière rassemble alors les dispositions requises par la réforme attendue de la fiscalité municipale, ainsi que celles régissant déjà l’évaluation foncière, sans toutefois remettre en cause l’essentiel des mesures instaurées par la LEF.
Vous en souviendrez-vous ? 

Pour en apprendre davantage sur cet historique, consultez la capsule 1.5 dans HistÉval

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