Un brin d’histoire… Extrait de Histéval

Par Alain Raby,

Recherchiste et réacteur des capsules historiques publiées dans Histéval

 

La Loi sur la fiscalité municipale : 40 ans d’effets sur les pratiques d’évaluation foncière

Mise en vigueur en 1980, la Loi sur la fiscalité municipale (LFM) met en œuvre une réforme financière et fiscale sans précédent pour les municipalités du Québec, en favorisant leur autonomie financière avec de nouveaux pouvoirs de décision et de taxation. Outre les dispositions propres à la fiscalité municipale, cette loi incorpore alors celles régissant déjà l’évaluation foncière depuis 1972, en vertu de la Loi sur l’évaluation foncière. Elle consolide les pratiques instaurées par la réforme administrative amorcée en 1977 et introduit même certaines nouveautés déterminantes en ce domaine. Toujours en force après 42 ans d’application, la LFM apporte aussi, durant cette période, d’autres changements majeurs dans les pratiques d’évaluation municipale.

Contexte d’instauration de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)

Initialement implantées sous le Régime britannique, les dispositions législatives régissant les pratiques québécoises d’évaluation municipale sont ensuite transposées et développées dans le Code municipal et dans la Loi des cités et villes, ainsi que dans les chartes particulières à quelques villes. Malgré tout, l’application de ces dispositions par chaque municipalité locale s’avère graduellement inconciliable avec l’évolution économique et fiscale du Québec.

Durant les décennies 1950 et 1960, l’urbanisation rapide et la croissance des responsabilités des municipalités amènent ces dernières à réclamer des revenus additionnels, dont l’exclusivité de l’imposition foncière, alors partagée avec les commissions scolaires. Bien que reconnaissant la nécessité de réformer la fiscalité municipale en raffermissant l’impôt foncier, deux commissions royales d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) déplorent l’hétérogénéité et la fiabilité discutable des méthodes d’évaluation foncière alors en usage. Ces commissions concluent à l’impossibilité de réviser la fiscalité municipale sans réformer d’abord l’évaluation foncière, par une uniformisation à la fois législative et normative.

À compter de 1972, la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) impose une réforme « législative » de l’évaluation foncière. Elle uniformise toutes les dispositions devant régir ce domaine d’activités et, en milieu rural, elle en confie la compétence aux autorités régionales d’alors : les conseils de comté. Cette loi introduit notamment un pouvoir inédit de réglementation du processus de confection des rôles. Ce n’est toutefois qu’en 1977 que la portion « normative » de cette réforme est édictée, par l’imposition d’un échéancier de réalisation de tous les rôles dits « de nouvelle génération », ainsi que de l’usage d’un seul manuel et de formulaires afférents, tous exclusivement fournis par le gouvernement.

 

La mise en œuvre graduelle de la réforme de l’évaluation foncière crée des attentes fiscales dans le milieu municipal. Les demandes en ce domaine se font plus pressantes et le climat des relations provinciales-municipales se détériore, en l’absence d’un véritable projet de réforme de la fiscalité municipale. Un tel projet prend forme à la conférence Québec-Municipalités de juin 1978, alors que le gouvernement propose et documente diverses mesures quant à l’accroissement de l’autonomie locale et au transfert net de ressources aux municipalités. Au terme d’échanges laborieux entre les représentants municipaux et provinciaux (Comité conjoint Québec-Municipalités), le discours sur le budget de mars 1979 annonce les principales mesures de réforme fiscale retenues.

Le 20 novembre 1979, le ministre Guy Tardif dépose le projet de loi 57, intitulé « Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives ». Bien qu’il concrétise l’essentiel des éléments ayant fait consensus, cet imposant projet législatif de 543 articles surprend le milieu municipal par le fait qu’il abroge et refond les dispositions de la LEF pour les intégrer à celles de la loi projetée, changement qui n’avait pas été abordé antérieurement.

 

Guy Tardif ministre

Au terme de travaux parlementaires et techniques ayant amené quelque 250 changements entre son dépôt et son adoption, le texte officiel de la LFM est finalement sanctionné le 21 décembre 1979 et entre en vigueur le 1er janvier 1980.

 

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Effets financiers et fiscaux de la mise en vigueur de la LFM

La LFM met en œuvre une réforme financière et fiscale sans précédent pour les municipalités du Québec et concrétise ainsi les changements réclamés depuis les années 1950. Sans combler toutes les attentes municipales, elle atteint l’objectif principalement visé, soit de procurer l’autonomie financière à chaque municipalité, avec les pouvoirs de décision et de taxation afférents. Ainsi, à compter de 1980, cette loi instaure des changements majeurs, principalement par :

  • l’abolition des transferts inconditionnels et des subventions aux municipalités, ainsi que du partage de la taxe de vente entre celles-ci et le gouvernement;
  • la libération de la quasi-totalité du champ d’imposition foncière, par la limitation de la taxation scolaire à un plafond fixé par la loi;
  • l’élargissement de l’assiette d’imposition, par l’inclusion de biens immobiliers antérieurement exclus de l’évaluation foncière;
  • l’instauration de compensations tenant lieu de taxes sur les immeubles gouvernementaux et la pleine taxation des immeubles des sociétés d’État;
  • la généralisation du champ de la taxe d’affaires à l’ensemble des municipalités, sur la base de la valeur locative des locaux désignés par la loi.
Guy Tardif ministre

Apports de la mise en vigueur de la LFM aux pratiques d’évaluation foncière

Outre ses effets financiers et fiscaux, la mise en vigueur de la LFM en 1980 y incorpore les mesures régissant déjà l’évaluation foncière depuis 1972, en vertu de la Loi sur l’évaluation foncière. Ne remettant pas en cause les pratiques déjà prescrites par la réforme administrative amorcée en 1977, elle introduit même de nouvelles dispositions visant à en consolider l’application. Certaines de ces nouveautés de 1980 sont significatives dans l’évolution des pratiques québécoises d’évaluation municipale, notamment :

  • Définition de la notion de valeur réelle, énoncée pour la première fois dans un texte de loi. La nouvelle définition consacre les principes doctrinaux déjà avalisés par les tribunaux, protégeant ainsi la validité de la jurisprudence antérieure.
  • Instauration de la notion d’unité d’évaluation, aux fins de l’inscription des immeubles au rôle d’évaluation. Déjà documentée au MEFQ depuis 1975, cette nouvelle exigence législative du plus grand dénominateur commun rationalise le nombre d’inscriptions au rôle et en uniformise les modalités.
  • Instauration de la règle générale de mise au rôle des immeubles, pour assurer l’intégrité de l’assiette fiscale municipale. Cela accroît significativement le nombre et la nature des biens immobiliers devant être évalués (machines, appareils, équipements fixes, etc.), seuls étant désormais exclus ceux spécifiquement énumérés dans la loi.
  • Obligation d’évaluer toutes les propriétés au même niveau par rapport à la valeur réelle. Cette disposition innove, à la fois en énonçant la notion de « proportion de la valeur » et en exigeant l’équité horizontale entre les évaluations d’un même rôle, y compris pour les tribunaux quant à la valeur qu’ils établissent.
  • Instauration de la mesure de la proportion médiane. Confiée à l’évaluateur et vérifiée par le MAM, cette mesure annuelle du niveau de chaque rôle par rapport à la valeur réelle des immeubles évalués est essentielle à plusieurs mesures fiscales créées par la LFM (taux global de taxation, péréquation, en-lieux de taxes, etc.). Bien que sans effet sur les inscriptions au rôle visé, elle officialise une mesure objective de son état.

Effets des amendements apportés à la LFM sur les pratiques d’évaluation foncière

Toujours en vigueur depuis plus de 40 ans, la LFM a fait l’objet de nombreuses modifications pour s’adapter à l’évolution du système municipal québécois et aux politiques gouvernementales afférentes.

En matière d’évaluation foncière, plusieurs amendements apportés à cette loi sont des correctifs visant à consolider la réforme administrative de 1977. Par ailleurs, d’autres dispositions adoptées après 1980 s’avèrent déterminantes pour les pratiques de confection et de tenue à jour des rôles d’évaluation au Québec. Il s’agit surtout des suivantes :

  • Instauration du régime des rôles triennaux. Cette mesure adoptée en 1988 exige que tous les rôles soient dressés tous les trois ans, pour trois exercices consécutifs. Comme les rôles sont annuels depuis 1977, les pratiques d’évaluation municipale sont substantiellement modifiées par ce nouveau régime qui, entre autres, limite le droit de plainte général à la première année d’application du rôle.
  • Exigence d’équilibration des rôles aux trois ou six ans, selon la taille des municipalités. Harmonisée à l’exigence de dépôt des rôles triennaux, cette mesure impose la périodicité selon laquelle les valeurs au rôle doivent être modifiées pour se rapprocher de la valeur réelle des immeubles évalués. Dès 1990, son application est appuyée par des exigences réglementaires quant aux résultats à atteindre et à des sanctions financières en cas de dérogation.
  • Inclusion de l’ensemble des droits dans l’établissement de la valeur réelle. Précision législative stipulant que tous les droits du locataire doivent être réputés détenus par le propriétaire. Cet ajout à la LFM en 1992 résout d’importantes divergences méthodologiques et jurisprudentielles précédemment observées à ce sujet.
  • Exigence de mentions relatives aux immeubles non résidentiels. À compter de 1992, l’instauration de mesures fiscales propres aux immeubles non résidentiels entraîne la quasi-élimination des rôles de valeur locative. Cela requiert toutefois que le rôle foncier contienne des mentions particulières à cet égard et la catégorisation exigée quant à ces immeubles constitue un ajout notoire dans les pratiques d’évaluation municipale, surtout pour quantifier la portion non résidentielle de la valeur des immeubles « mixtes ».
  • Instauration de la procédure de révision administrative des plaintes. Applicable à compter de l’année 1998, cette procédure non judiciaire transforme le processus de traitement des plaintes sur l’évaluation foncière. Préalable à tout recours ultérieur et exercé sous la responsabilité de chaque organisme municipal responsable de l’évaluation, cette procédure prévoit notamment que l’évaluateur et le demandeur peuvent, après révision, conclure une entente écrite sur des modifications au rôle.
  • Exclusions relatives aux biens immobiliers industriels. Depuis leur adoption en 1980, les dispositions de la LFM désignant les biens industriels à être exclus du rôle (le fameux article 65) sont plusieurs fois amendées, surtout au regard des courants jurisprudentiels et des enjeux financiers afférents. Les plus déterminants concernent les systèmes mécaniques ou électriques pouvant être exclus, à compter de 1994, distinctement des constructions auxquelles ils sont intégrés. De plus, à compter de 2001, la LFM exclut les biens immobiliers servant à la lutte ou au contrôle de la pollution industrielle.

Pour conclure

Portant encore, à juste titre, son nom initial de 1980, la Loi sur la fiscalité municipale régit toujours le fonctionnement du régime fiscal municipal au Québec. Bien qu’inattendue à l’époque, l’intégration de l’évaluation foncière aux dispositions de cette loi fiscale a brillamment réussi l’épreuve du temps. Au fil des ans, cette discipline a acquis un niveau sans précédent de maturité et de reconnaissance professionnelle, notamment par la jurisprudence variée et étoffée qui a été générée en ce domaine sur plus de 40 ans, ainsi que par les améliorations majeures qui en ont découlé.

Vous en souviendrez-vous

  • Pour en apprendre davantage sur cet historique, consultez la capsule 1.6 à la page 42 de HistÉval, déposé à la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ).
  • Pour suggérer un ajout ou un correctif dans HistÉval, écrivez à : info.aemq.qc.ca.
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