Un brin d’histoire… Extrait de Histéval

Par Alain Raby,

Recherchiste et réacteur des capsules historiques publiées dans Histéval

 

La réforme administrative de l’évaluation foncière (1977 à 1984)

La « réforme administrative de l’évaluation foncière » est une expression qui désigne globalement les changements réglementaires et normatifs introduits en 1977 pour uniformiser les pratiques d’évaluation municipale au Québec. Soutenue par un programme de perfectionnement de la main d’œuvre et par des subventions, cette réforme donne lieu, jusqu’en 1984, à l’implantation d’un rôle « de nouvelle génération » dans chaque municipalité.

Contexte d’introduction de la réforme

Pendant plus de 20 ans avant sa mise en œuvre, une réforme de l’évaluation foncière est réclamée par divers spécialistes, tant professionnels que gouvernementaux. Ainsi, face à la nécessité de réformer la fiscalité municipale au Québec en raffermissant l’impôt foncier, deux commissions royales d’enquête (Commission Tremblay en 1956 et Commission Bélanger en 1965) signalent de graves lacunes en matière d’évaluation foncière, notamment quant à l’hétérogénéité et à la fiabilité discutable des méthodes utilisées à cette fin. Elles en recommandent l’uniformisation législative et normative, à titre de préalable à toute réforme fiscale.

Bien qu’amplement documentée et qualifiée d’urgente par les spécialistes, l’uniformisation envisagée ne fait pas l’unanimité dans le milieu municipal. Au terme d’importants débats, la Loi sur l’évaluation foncière (LEF) entre en vigueur en 1972, imposant immédiatement une réforme « législative » en cette matière. Cette loi uniformise d’abord toutes les dispositions législatives devant régir l’évaluation foncière et, en milieu rural, elle en confie la compétence aux autorités régionales, soit les conseils de comté. Peu après, on y introduit la notion de « rôle annuel de nouvelle génération », ainsi qu’un pouvoir inédit de réglementation du processus de confection et de tenue à jour d’un tel rôle.

Amorcés dès l’adoption de la LEF, les développements requis pour soutenir la portion « normative » du projet de réforme s’avèrent plus laborieux que prévu. En 1974, la publication du volume intitulé « Principes et concepts généraux en évaluation foncière », en constitue le premier volet. Ce n’est toutefois qu’en 1975 et 1976 que sont publiés les premiers ouvrages servant à documenter techniquement la confection des rôles d’évaluation de nouvelle génération (données du marché, cartographie, barèmes de coûts, etc.).

 

Contenu de la réforme administrative

Lancée officiellement au printemps 1977 par le ministre Guy Tardif, la réforme administrative de l’évaluation foncière consiste à implanter, sur tout le territoire québécois, des rôles d’évaluation de nouvelle génération établis par des moyens uniformes (principes, moyens de preuve, formulaires, etc.). Loin d’être une révolution scientifique, elle généralise plutôt des procédés issus du savoir-faire déjà reconnu dans le domaine, d’où l’adjectif « administrative » qui lui est attribué.

Trois leviers, déjà prévus dans la loi depuis 1972, sont utilisés par le gouvernement pour exiger l’application de cette réforme par les autorités municipales compétentes et en documenter le contenu pour ses exécutants.

Guy Tardif ministre

D’abord, une ordonnance ministérielle générale entre en vigueur le 15 avril 1977 et amorce le processus de réforme. Pour toute municipalité, elle impose notamment la réalisation de 10 étapes précises et fixe l’année 1984 comme échéance ultime d’entrée en vigueur du premier rôle annuel de nouvelle génération.

 

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 De plus, le Règlement numéro 1 (officiellement intitulé Règlement sur la forme et le contenu du rôle d’évaluation, le procédé administratif de son établissement et les formules propres à cet établissement) également mis en vigueur le 15 avril 1977, constitue la toute première intervention réglementaire sur les pratiques d’évaluation municipale au Québec. Ce règlement de 15 articles formalise concrètement les exigences de la réforme administrative à faire. À cet effet, il stipule un cheminement détaillé à suivre par tous les évaluateurs municipaux et leur prescrit l’usage d’un même manuel et de formulaires afférents, tous exclusivement fournis par le gouvernement.

Enfin, le Manuel d’évaluation foncière du Québec est un ouvrage de référence obligatoire dont l’édition 1976 comprend 10 volumes ou appendices, auxquels réfèrent plusieurs exigences énoncées dans le Règlement numéro 1. Outre les exposés méthodologiques pertinents, on y trouve un barème de coûts unitaires propre au contexte québécois. On y expose également l’utilisation des fiches techniques devant servir à la fois à décrire les bâtiments inventoriés et à les évaluer.

Mise en œuvre et suivi de la réforme administrative

Tant les représentants gouvernementaux que municipaux reconnaissent que la réforme administrative exigée représente une tâche colossale, compte tenu de l’hétérogénéité des pratiques alors existantes. Son implantation est soutenue par trois moyens déterminants, déployés par le gouvernement québécois :

 

  •  Un programme de perfectionnement sur la réforme est largement diffusé de 1975 à 1979, en collaboration avec l’École nationale d’administration publique. Un module d’une journée s’adresse aux cadres et élus municipaux, alors que huit modules totalisant 40 jours de formation sont offerts aux évaluateurs et à leur personnel. Pendant de nombreuses années ensuite, les documents de support utilisés lors de ces formations tiennent lieu de guides méthodologiques dans les pratiques courantes, sans que leur utilisation soit imposée;
  • Une surveillance administrative est effectuée par le ministère des Affaires municipales, afin d’assurer à la fois le suivi de la réforme en voie d’implantation et une gestion responsable des subventions qui y sont associées. Ainsi, de 1977 à 1985, une équipe techniquevérifie systématiquement la conformité réglementaire des principaux fichiers requis par la réforme, mais sans porter de jugement sur l’aspect professionnel des travaux, d’où – ici aussi – l’adjectif « administrative ». Les responsables concernés sont ensuite informés de la nature des correctifs requis, le cas échéant;

  • Un programme d’aide financière soutient, à compter de 1977, les organismes responsables de dresser, de façon autonome sur leur territoire respectif, les premiers rôles de nouvelle génération. Accessible à 3 communautés, 216 cités ou villes et 71 comtés, le Programme d’aide à l’implantation des rôles d’évaluation (programme PAIRE) est géré par le ministère des Affaires municipales. Celui-ci effectue les vérifications préalables au versement des subventions qui atteignent un total de 42 M$ à la fin du programme, en 1986.

Considérée comme un succès, la réforme administrative de l’évaluation foncière atteint globalement ses objectifs. Sa réalisation est toutefois ponctuée de difficultés notoires telles :

  • l’adaptation problématique du personnel en place et la difficulté de recrutement d’employés qualifiés;
  • les efforts exigés par la nécessité d’agir en parallèle, à la fois sur le rôle en vigueur et sur le rôle en confection;
  • la croissance rapide des coûts réels de confection des nouveaux rôles, sans indexation des subventions;
  • l’appétit professionnel démesuré de certains intervenants qui effectuent (et facturent) des opérations jugées inutiles.

Pour conclure

Bien que méconnue de nombreux praticiens d’aujourd’hui, la réforme administrative réalisée de 1977 à 1984 s’avère cruciale dans l’histoire de l’évaluation foncière au Québec, puisqu’elle constitue encore la base des pratiques actuelles. À ce titre, cette réforme a notamment permis de :

  • développer et former rapidement une main-d’œuvre compétente et polyvalente;
  • accélérer les développements informatiques, à la faveur d’exigences universelles;
  • déployer une cartographie à référence spatiale (matrice graphique), bien avant la rénovation cadastrale;
  • généraliser un système de codification des biens-fonds (CUBF).

 

Vous en souviendrez-vous?

  • Pour en apprendre davantage sur cet historique, consultez la capsule 4.12 dans HistÉval  (page 204) et déposé à la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ). Les capsules 1.8 (Ordonnances ministérielles) et 4.10 (Programme PAIRE) sont aussi dignes d’intérêt à ce sujet.
  • Pour suggérer un ajout ou un correctif dans HistÉval, écrivez à : info.aemq.qc.ca
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