Taux directeurs et le bon taux d’inflation

Auteur
PAR GUY MINEAULT, PH,D. — DOCTEUR EN ÉCONOMIE – CONFÉRENCIER – AUTEUR – FONDATEUR DE KOLORTRAK (ENTREPRISE QUI ANALYSE ET ÉVALUE LES FONDS ET LES PORTEFEUILLES DE FONDS)

J’aime bien une phrase de Will Rogers, l’humoriste qui a dit : « Le problème ce n’est pas ce que les gens savent, c’est que parfois ce qu’ils savent, n’est pas exact ». C’est tout à fait le cas ici. 

L’indice des prix à la consommation (IPC) est l’indice qu’on voit dans les médias tous les mois. Au Canada, sur une base annuelle, il était de 6,32% à la fin décembre 2022 en baisse depuis quelques mois. Aux États-Unis il était de 6,45 % au moment d’écrire ce texte et en baisse aussi. On pourrait penser que la Banque du Canada et la Fed américaine pourraient alors baisser les taux directeurs. Mais non. Tout simplement parce que l’IPC n’est pas le taux d’inflation que les responsables des banques centrales suivent pour décider s’ils augmentent ou s’ils diminuent les taux directeurs.

Les banques centrales changent les taux directeurs en regard de l’évolution du taux d’inflation qu’on appelle le taux sous-jacent ou le « core inflation » en anglais (dorénavant le CI). L’IPC et le CI ne sont pas calculés de la même manière. La différence entre les deux taux? Le CI ne tient pas compte du changement du prix des aliments ni des prix de l’énergie. Depuis quelques mois le prix de l’énergie, comme l’essence à la pompe, diminue de façon importante. Cela fait baisser la valeur de l’IPC, mais n’impacte pas du tout le CI. 

banques centrales tentent de maintenir ce taux entre 1% et 3% et habituellement, on le fixe à 2% pour régulariser les taux directeurs. Pourquoi le 2%? Parce que les salaires ont tendance à augmenter de 2% par année sur un long terme et avec des taux d’inflation de 6%, le pouvoir d’achat des travailleurs diminue. Ce que ne veulent pas les responsables des banques centrales.

Pourquoi ne pas tenir compte du prix des aliments ou de l’énergie ? Tout simplement parce que les responsables des banques centrales veulent changer les taux directeurs en misant sur la tendance à long terme des prix. 

Graphique 1

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Les aliments et l’énergie sont beaucoup trop volatils pour avoir une vision juste de la tendance de l’augmentation des prix. En tenir compte, les amèneraient à changer les taux directeurs trop souvent.

Voyons le graphique 1 du CI au Canada depuis 2012. Comme on peut le voir, on le maintient près de son 2%. Cependant, depuis la fin 2021, il est d’environ 6%. Il est trois fois plus élevé qu’il ne devrait l’être.

En se répétant, le prix des aliments et de l’énergie a beau baisser et l’IPC aussi, mais cela ne fera pas un seul pli sur le CI et donc pas de baisse dans le changement du taux directeur. Il pourrait y avoir une pause dans les hausses du taux directeur, mais pas de baisses tant et aussi longtemps que le CI ne soit pas rendu dans la région du 2%. On va voir cela au graphique 3.

Au graphique 2, on peut voir l’expérience américaine de son CI. Donc ce n’est pas parce que l’IPC baisse depuis un mois ou deux, que cela veuille dire que les taux directeurs vont diminuer. Il n’y a pas de rapport. Les taux directeurs vont commencer à ne baisser que lorsque le taux d’inflation, le CI, s’approchera du 2%. Jerome Powell et autres membres de la FMOC, le disent clairement depuis plusieurs mois, qu’il ne faut pas songer à prendre une pause de hausses de taux directeurs en ce moment tout simplement parce que le CI est encore trop loin du 2% visé.

Graphique 2

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DE COMBIEN FAUT-IL AUGMENTER LES TAUX DIRECTEURS POUR FAIRE BAISSER LE CI À 2%?

Au graphique 3, nous pouvons voir la relation entre le taux directeur (bâtonnet bleu) et le CI (bâtonnet rouge). Le mot
« pivots » veut dire baisse dans le taux directeur. Comme on peut le voir depuis 1957 pour diminuer le CI, les taux directeurs doivent facilement être de 1,5 à 2 fois plus élevés que le CI. M. Bullard, un des 17 membres du comité qui décident ce qui va arriver aux taux directeurs a récemment dit que selon lui, le taux directeur américain devrait monter au moins jusqu’à 7%. Et Jerome Powell, le Président de la Fed américaine répète depuis plusieurs mois, que « ce n’est pas le temps de prendre une pause », même si l’IPC diminue.

Graphique 3

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Tiff Macklem, le gouverneur de la Banque du Canada a dit très récemment qu’il pense qu’on va revenir à un CI de 3% vers la fin de 2023 et de 2% en 2024. Wow!
Et pour finir, Jerome Powell le dit ouvertement que faire baisser le taux d’inflation va faire mal aux consommateurs, aux gouvernements, aux entreprises et aux investisseurs. Il ne se cache pas pour le dire. Est-ce que cela peut amener à des contractions et des récessions en 2023? Certainement. Et le 14 décembre dernier, Powell annonce que l’inflation, selon le CI devrait être plus élevé que le 2% au moins jusqu’à la fin 2025 et sera encore plus élevé que 3% à la fin 2023. Et tout récemment Jerome Powell annonce qu’une baisse dans le taux directeur n’est pas encore en vue. Une pause dans la hausse peut-être, mais pas de baisse.

Conclusion : Si vous voulez savoir ce qui va arriver aux taux directeurs, allez voir ce que disent ceux qui décident de ce qui va leur arriver. Tiff Macklem au Canada, Jerome Powell aux États-Unis et Christiane Lagarde en Europe. Ce sont eux les patrons et ils parlent beaucoup. Et cessez de regarder l’IPC. Ayez un œil sur le « core inflation » qui normalement, doit descendre vers le 2% avant une baisse dans les taux directeurs. 

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