Résumé jurisprudence – La grande roue de Montréal
Par Louis Roy

Date : 13 mai 2022
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC
Dossier : SAI-M-290092-1909 / SAI-M-303198-2012
Devant les juges administratifs : Marie Charest et Martine Durand
LES HOLDINGS LA GRANDE ROUE DE MONTRÉAL INC.
Partie requérante
c.
VILLE DE MONTRÉAL
Partie intimée
La mise en situation
Le présent recours porte sur les rôles 2017-2018-2019 et 2020-2021-2022, pour l’unité d’évaluation inscrite au nom de Les Holdings la Grande Roue de Montréal inc.
La requérante a été portée au rôle comme locataire de la Société du Vieux-Port de Montréal inc. en vertu de l’article 208 de la Loi sur la fiscalité municipale, par certificat de l’évaluateur prenant effet le 1er mai 2017 et dans le cadre du dépôt du rôle pour ce qui est du rôle 2020-2021-2022.
De par le nom de la requérante, tout le monde aura compris qu’il s’agit de la grande roue du vieux port.
Le Tribunal doit trancher les questions préliminaires suivantes :
1) La Grande Roue et la console située à l’intérieur de la cabine de contrôle de celle-ci sont-elles des immeubles au sens du premier paragraphe de la définition d’« immeuble » figurant à l’article 1 de la LFM?
2) À défaut de correspondre à la définition du premier paragraphe, la Grande Roue et la console sont-elles des immeubles au sens du deuxième paragraphe de la définition d’« immeuble » de l’article 1 de la LFM?
Les parties ont convenu avec le Tribunal de scinder l’audition en deux étapes afin de trancher ces questions préliminaires. Une deuxième audience pourra être fixée pour statuer sur la valeur inscrite au rôle selon l’issue qui sera retenue par le Tribunal à l’égard des questions préliminaires soumises.
Contexte
Sur le site de l’unité d’évaluation contestée, outre la Grande Roue, on retrouve une série de bâtiments dont la nature immobilière n’est pas contestée. Par contre, les parties ne s’entendent pas sur la nature meuble ou immeuble de la console située à l’intérieur de cette cabine de contrôle.
La requérante occupe les lieux en vertu d’un bail signé pour une période de cinq ans commençant le 1er mai 2017, avec la Société du Vieux-Port de Montréal. Une clause au bail permet un renouvellement non automatique pour une période subséquente de cinq ans qui se termine le 30 avril 2027.
Les arguments de la requérante
Le président-directeur général de la compagnie Dutch Wheels Holding B.V., explique la conception, l’assemblage et le désassemblage de la Grande Roue.
Celle-ci a été conçue et fabriquée par l’entreprise Dutch Wheels Holding B.V. et fait partie de la série de roues DW60. La particularité de ce modèle est qu’il est conçu pour pouvoir être transporté en pièces détachées, par conteneurs, d’une localisation à une autre à travers le monde : 64 conteneurs ont été utilisés pour transporter par bateau la Grande Roue des Pays-Bas à Montréal. Celle-ci comporte 42 gondoles et est d’une hauteur totale de 60 mètres.
Des ingénieurs en ont réalisé la conception et ont conçu l’ouvrage pour une durée de vie prévue de 50 ans, le tout en fonction des conditions climatiques propres à Montréal, comme la neige et le verglas, puisqu’elle peut être opérée à l’année.
La Grande Roue est constituée de plusieurs composantes qui se connectent les unes aux autres au moyen de boulons et de différentes formes d’attaches, selon le plan d’assemblage et le plan d’installation. La durée de l’assemblage de ce modèle est variable selon la configuration des lieux où une telle grande roue est installée.
L’installation sur le site du Vieux-Port à Montréal a nécessité environ huit semaines. Sauf pour des éléments comme les installations électriques, qui ne peuvent être complétées que par des personnes dûment autorisées en vertu des lois du Québec.
Une part importante de ce temps d’assemblage est liée à l’installation des systèmes électriques qui a dû être effectuée entièrement sur place puisque le site de la Grande Roue est situé à proximité de l’eau. En effet, pour des sites qui ne présentent pas cette contrainte, les câbles sont habituellement préinstallés, ce qui permet un assemblage plus rapide grâce à des connecteurs.
L’expert poursuit son témoignage en indiquant que les six colonnes qui constituent la structure de la Grande Roue sont ancrées, au moyen de boulons et de pieux, à des bases de béton qui servent de fondations, coulées dans le sol et d’une épaisseur de 1 à 1,5 mètre. Cependant, les pieux descendent jusqu’au roc, à une profondeur de 25 mètres.
Par ailleurs, le démantèlement de la Grande Roue devrait requérir environ quatre semaines et devra aussi être effectué par une équipe de Dutch Wheels Holding. L’expert précise que le démantèlement de la Grande Roue ne devrait pas occasionner de dommages importants. En effet, seul le jointement de béton qui relie la fondation à la plaque de métal à la base des colonnes devra être détruit, comme démontré à la suite du démantèlement d’une installation comparable faite aux Pays-Bas où la compagnie Dutch Wheels Holding opère.
La requérante, se basant sur ces caractéristiques particulières, indique que la Grande Roue n’est pas un immeuble au sens de l’article 900 du Code civil puisqu’il ne s’agit pas d’une construction ou d’un ouvrage à caractère permanent. En effet, un bail de courte durée est signé entre Holding de la Grande Roue et Société du Vieux-Port.
De plus, bien que cela entraîne des coûts supérieurs à ceux d’un modèle conçu pour une installation permanente, la Grande Roue a été conçue pour pouvoir être démantelée assez aisément pour être transportée dans une autre localisation afin d’être assemblée de nouveau. La Grande Roue n’est d’ailleurs pas la seule à avoir été ainsi conçue, et Dutch Wheels Holding en a déplacé quelques-unes entre divers sites dans le monde.
La requérante reconnaît la Grande Roue comme un meuble attaché à l’immeuble, ce qui pourrait en faire un immeuble au sens du deuxième paragraphe de la définition d’« immeuble » faite à l’article 1 de la LFM. Elle soutient, par contre, que le lien intellectuel qui serait nécessaire pour qualifier ce meuble comme étant attaché à perpétuelle demeure à l’immeuble, est absent.
La requérante argue qu’il faut considérer le degré d’utilité ou de complémentarité de la Grande Roue à l’immeuble. À cet égard, elle est d’avis que l’immeuble, sans la Grande Roue, peut être utile et fonctionnel. Aucun aménagement du site ne devient inutile en l’absence de la Grande Roue. Elle conclut donc qu’il n’existe pas de lien intellectuel.
Au surplus, la requérante considère qu’un bail de courte durée, comme celui signé entre la requérante et la Société du Vieux-Port de Montréal, ne peut s’assimiler à une perpétuelle demeure.
Les arguments de l’intimée
Pour la partie intimée, la Grande Roue est un immeuble au sens du premier paragraphe de la définition d’immeuble de l’article 1 de la LFM.
Cette conclusion repose sur le fait que la partie intimée estime que la Grande Roue est une construction ou un ouvrage complexe comme le démontrent les efforts requis par sa construction et la complexité des plans soumis en preuve.
Par ailleurs, toutes les composantes de la Grande Roue sont boulonnées ou connectées au moyen de broches, boulons et autres attaches permettant de lier les parties pour former un ouvrage complet. L’ensemble est immobilisé au sol par les six colonnes qui sont boulonnées aux blocs de béton coulés dans le sol et aux pieux qui vont s’appuyer sur le roc.
Puisque le statut d’immeuble des blocs de béton n’est pas contesté́, et puisque la Grande Roue est fixée à ces mêmes blocs, elle ne peut être considérée que comme étant un immeuble selon le premier paragraphe de la définition de l’article 1 de la LFM.
De surcroît, la partie intimée argue que la permanence de l’installation de la Grande Roue ne fait aucun doute. Malgré la courte durée du bail souscrit et la possibilité de démanteler la Grande Roue, aucun élément de preuve ne démontre que la Grande Roue sera démantelée dans un avenir rapproché.
Subsidiairement, si le Tribunal ne reconnaissait pas la Grande Roue comme correspondant à un immeuble selon le premier paragraphe de sa définition à l’article 1 de la LFM, la partie intimée soumet qu’elle correspond à tout le moins à un meuble attaché à demeure à un immeuble selon le deuxième paragraphe de cette définition.
En effet, toutes les composantes de la Grande Roue sont attachées au sol en raison de l’existence d’attaches entre les différentes composantes de la Grande Roue, ses colonnes et le sol.
Par ailleurs, elles le sont à demeure de par leur attachement entre elles et leur fixation aux bases de béton. L’ensemble de la Grande Roue perd son utilité si une seule de ces composantes est retirée, il y a donc lien intellectuel.
Analyse du tribunal
Le Tribunal doit donc dans un premier temps déterminer si la Grande Roue correspond à une construction ou à un ouvrage à caractère permanent qui se trouve sur un fonds de terre; en d’autres mots, s’agit-il d’un immeuble par nature au sens de l’article 900 du CCQ? Comme il s’agit d’un concept peu débattu devant le Tribunal jusqu’à maintenant, il devra se référer à la jurisprudence des tribunaux supérieurs en la matière.
Puis il se penchera sur la possibilité que cette Grande Roue, s’il ne s’agit pas d’un immeuble par nature, et cette console soient des biens meubles attachés à demeure à un immeuble au sens de l’article 1 de la LFM.
Le concept de constructions et ouvrages de l’article 900 du CCQ s’avère correspondre à l’interprétation élargie par la jurisprudence de la notion de bâtiment de l’article 376 du Code civil du Bas-Canada qu’il remplace. Il correspond à tout ouvrage, intérieur ou extérieur au sol, qui y adhère de façon à en faire partie intégrante; cette adhérence peut entre autres résulter de fondations ou de pilotis, deux éléments présents en l’instance.
Le format de la Grande Roue, les conditions de résistance aux intempéries et de durée de vie de 50 ans auxquelles elle répond, la complexité et la longue période requise pour son installation et son éventuelle désinstallation, en font clairement un ouvrage au sens de l’article 900 du CCQ.
De plus, les six colonnes qui constituent la structure de la Grande Roue sont ancrées, au moyen de boulons et de pieux, à des bases de béton qui servent de fondations, coulées dans le sol et d’une épaisseur de 1 à 1,5 mètre; les pieux descendent jusqu’au roc, à une profondeur de 25 mètres. Ainsi, l’adhérence de cet ouvrage au sol s’avère indéniable.
S’ajoute à cette adhérence le critère du caractère permanent de cet ouvrage ou construction, cette permanence correspondant à l’union d’une structure avec le sol à perpétuelle demeure.
Des pieux qui descendent jusqu’au roc, à une profondeur de 25 mètres, constituent clairement une incorporation au sol. Sans un tel élément pour assurer la stabilité à long terme et dans des conditions climatiques extrêmes, la Grande Roue ne pourrait pas opérer.
Le Tribunal procède par la suite à une analyse jurisprudentielle de la situation pour conclure à la nature immobilière de la Grande Roue.
Quant à la console, seule l’immobilisation par attache à demeure peut justifier son inscription au rôle. Le Tribunal constate que la cabine de contrôle serait incomplète et ne pourrait permettre l’opération de la Grande Roue sans la console; elle est indispensable pour que cette cabine soit complète et fonctionnelle, indépendamment de l’entreprise qui opère la Grande Roue.
La cabine de contrôle est requise pour opérer la Grande Roue, et la console qui y est attachée la complète et lui permet de jouer son rôle en lien avec la Grande Roue. C’est pourquoi le Tribunal ne peut que conclure que la console est attachée à la cabine de contrôle pour aussi longtemps que celle-ci sera nécessaire à la Grande Roue et donc à perpétuelle demeure.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal, dans le contexte de la scission du présent recours :
CONFIRME l’inscription au rôle de la Grande Roue et de la console et confirme leur caractère d’immeuble au sens de la Loi sur la fiscalité municipale ;
et
RETOURNE le dossier au maître des rôles pour fixer la prochaine étape du dossier en lien avec la contestation de la valeur de l’unité d’évaluation.