L’inversion de la courbe des taux d’intérêt et les récessions

Auteur
GUY MINEAULT, PH,D. — DOCTEUR EN ÉCONOMIE — CONFÉRENCIER — AUTEUR — FONDATEUR DE KOLORTRAK (ENTREPRISE QUI ANALYSE ET ÉVALUE LES FONDS ET LES PORTEFEUILLES DE FONDS)
Allons-nous vers une récession ? Comment faire pour le savoir? Il y a plusieurs signes précurseurs qui annoncent ce qui s’en vient comme activité économique. Compte tenu des limites du texte de cet article, je ne peux que vous présenter qu’une de ces mesures, celle de l’inversion de la courbe des taux d’intérêt.
Si l’on regarde le graphique à gauche on voit à quoi ressemble la courbe normale de taux d’intérêt. Les taux à court terme sont normalement moins élevés à court terme qu’à long terme. Pourquoi est-ce ainsi? On est prêt à « geler » notre argent avec des obligations ou bons de trésor, disons, avec des échéanciers (maturité) plus longs à la condition que le taux d’intérêt compense pour des possibilités de plus d’inflation ou de risque de défauts de paiement dans le futur. C’est ce qui est normal.
Cependant si vous regardez le graphique à droite vous verrez la ligne solide qui démontre l’inversion de la courbe des taux d’intérêt. Les taux courts termes sont rendus supérieurs aux taux long terme. Normalement, lorsqu’on emprunte des sous pour acheter un poêle, un frigo, un téléviseur, une laveuse ou une sécheuse, etc. on n’emprunte pas sur une période de 10 ou 15 ans. On emprunte sur des échéanciers relativement courts avec au plus, mettons, 3 ans. Cependant, si les taux à court terme sont plus élevés qu’avant et surtout plus élevés que ceux à long terme, les consommateurs auront tendance à reporter à plus tard leurs achats, car le financement coûte trop cher. Et si les consommateurs reportent à plus tard, les entreprises vendent de moins en moins et éventuellement elles devront faire des mises à pied. Une baisse soutenue dans les dépenses des consommateurs va finir par créer un ralentissement économique.
La courbe des taux d’intérêt est-elle inversée en ce moment? Oui, autant au Canada qu’aux États-Unis qu’en Europe. Au tableau suivant on peut voir les rendements des bons de trésors autant au Canada qu’aux États-Unis.
Sur le graphique suivant, vous pouvez voir les inversions de la courbe des taux d’intérêt aux États-Unis depuis 1980. Elles sont démontrées par les flèches courbées et en rouge. Les lignes verticales, gris pâle, indiquent les récessions. Ce graphique illustre ce qui se passe aux États-Unis, mais c’est pareil au Canada. Ce qu’il faut savoir aussi c’est que lorsqu’il y a récession, les bourses aussi sont, malmenées. Cela se voit par la ligne un peu presque noire, un peu plus foncée.
Il existe d’autres indicateurs de ce qui se dessine dans les quelques mois à venir. Voici maintenant des organisations ou personnes qui se sont prononcées sur la possibilité imminente de récession pour l’automne.
Advenant que la hausse des taux d’intérêt continue, Desjardins, la Banque Royale, la Banque de Montréal, Crystia Freeland, le CD Howe Institute, le FMI, Jerome Powell (Président de la Fed américaine) aux États-Unis, Marc Carney, le conseiller spécial de Justin Trudeau, ont tous prévu des ralentissements économiques pour 2023. Bloomberg annonce qu’il est certain à 100% qu’on sera en récession en 2023, ainsi que Fitch Ratings, Morgan Chase, Goldman Sachs, Jeff Bezos, Martin Weiss, Bank of America, etc.
La récession dépend du cours futur de la hausse des taux d’intérêt. Est-ce que les taux d’intérêt vont continuer à augmenter? En ce moment, autant au Canada qu’aux États-Unis, le taux d‘inflation sous-jacent (le core inflation) est supérieur à celui de l’IPC. Ce qui veut dire que les taux d’intérêt devront continuer à augmenter, possiblement avec une petite pause à l’occasion. Depuis un mois, 10 des 17 personnes qui décident des taux aux États-Unis ont dit que les taux d’intérêt ne baisseront pas de sitôt.
Le président de la Fed de Chicago, Austan Goolsbee, qui a généralement tendance à être accommodant, a déclaré qu’il était
“beaucoup trop prématuré de parler de baisse des taux”. Le président de la Fed d’Atlanta, Raphaël Bostic, s’est montré plus belliciste, affirmant que les décideurs ne penseraient pas à des baisses de taux “avant 2024”. Il a également déclaré qu’il serait enclin à continuer d’augmenter les taux même en récession. John Williams, le Président de la Fed de New York a dit : “Nous n’avons pas fini d’augmenter les taux.”
Loretta Mester, la Présidente de la FED de Cleveland a dit que les taux n’ont pas atteint un niveau permettant de prendre une pause. Thomas Barkin, le Président de la Fed de Richmond a dit à Bloomberg qu’il se sentait à l’aise à voir les taux augmenter davantage. Le président de la Réserve fédérale de Minneapolis, Neel Kashkari, Christopher Waller, gouverneur de la FED, Mary Daly de la Fed de San Francisco, ont tous averti que les taux d’intérêt douloureux pourraient augmenter plus que prévu. Jim Bullard de la Fed Saint-Louis a dit au moins jusqu’à 7%.
On souhaite qu’ils se trompent tous, mais…