L’antinomie des décisions de la cour d’appel, prémonitoire de l’arrêt Halifax

Auteur
NORMAND GODBOUT

Au tournant du XXIe siècle, la Cour d’appel du Québec (Cour d’appel) a été sollicitée en matière d’évaluation municipale. Une question lui a été posée. En fait, trois questions lui ont été posées. Trois questions identiques portant le même libellé.
Et la Cour d’appel a répondu à cette question. La Cour d’appel a donné trois réponses. Trois réponses différentes. Trois réponses contraires l’une à l’autre. Trois réponses contradictoires. C’est ce que nous appellerons, dans ce texte, l’antinomie des décisions de la Cour d’appel.

Cette question, posée en triptyque, se résumait à : quelle est la valeur réelle d’un parc ?à

ET LES TROIS RÉPONSES DE LA COUR D’APPEL ONT ÉTÉ :

  • le parc de la Chute-Montmorency vaut 7 248 631 $;
  • le parc historique de la Pointe-du-Moulin vaut 1 $;
  • le parc historique du Domaine Cataraqui devrait valoir 1 $, mais il se verra évalué à 1 951 000 $.

Ces trois réponses de la Cour d’appel ont été données dans un très court intervalle de temps, sous la gouverne d’un même juge en chef : en mars 2000, la décision SÉPAQ se prononçait sur la valeur du parc de la Chute-Montmorency; en février 2000, la décision Notre-Dame de l’Île-Perrot évaluait le parc historique de la Pointe-du-Moulin; en septembre 2001, la décision Fondation Bagatelle inc. traitait de la valeur du parc historique du Domaine Cataraqui.

Nous sommes surpris de cette triade de contradictions de la Cour d’appel… Un parc vaut-il ou non 1 $ ?
Pourtant ce débat avait démarré dans l’harmonie la plus réconfortante alors que le Bureau de révision de l’évaluation foncière (BREF), tribunal de la première étape du processus de la contestation de la valeur inscrite au rôle, avait confirmé la pratique professionnelle de l’évaluation des parcs par la méthode du coût.

Nous proposons, dans ce qui suit, une synthèse de ces premières décisions du BREF lesquelles ont affiché une belle cohérence avant que la Cour d’appel ne déclenche les turbulences de ses contradictions. De là nous pourrons comprendre comment l’antinomie des décisions de la Cour d’appel a bouleversé la jurisprudence de l’évaluation des parcs, ce qui a inspiré la Cour suprême du Canada dans son rejet de la valeur nominale des parcs, dix ans plus tard. Une antinomie prémonitoire, c’est-à-dire annonciatrice et préparatoire, de l’arrêt Halifax.

1. L’EXPERTISE DU BREF

Cette même question avait donc été posée au BREF quelques années auparavant : quelle est la valeur réelle d’un parc ?

Et le BREF avait répondu que :

  • le parc de la Chute-Montmorency vaut 7 248 631 $6;
  • le parc historique de la Pointe-du-Moulin vaut 2 800 000 $;
  • le parc historique du Domaine Cataraqui vaut 7 790 740 $.

Le BREF appuyait alors son verdict sur la théorie classique de l’évaluation immobilière en appliquant à chacun de ces trois parcs la méthode du coût. Voici comment, dans Le Faisceau de l’époque, un article résumait les principales particularités de l’application de la méthode du coût par le BREF :

1.1 LA VALEUR DU TERRAIN COMME SI VACANT

« Comme on le sait tous, l’estimé de la valeur par la technique du coût procède en deux étapes : l’évaluation du terrain puis l’évaluation des bâtiments et autres améliorations au sol. […] La réglementation du zonage a alors une grande importance puisque c’est elle qui dicte le droit d’usage de la surface du terrain. Si le zonage est polyvalent et qu’il permet de multiples usages : c’est l’approche paritaire qui s’applique comme démarche d’évaluation, c’est-à-dire la comparaison du terrain sujet à des ventes récentes de terrains vacants offrant les mêmes potentialités et permettant les mêmes usages. Il ne faut pas négliger, non plus, les transactions ayant servi à l’implantation du parc lui-même ou à son agrandissement; parfois ces transactions sont le fruit de longues négociations et s’avèrent représentatives de transactions à distance sur le libre marché. C’était précisément la situation du Parc de la Chute-Montmorency : son zonage autorise parc public; mais il autorise aussi de l’habitation multifamiliale, du commerce et des services… et une grande partie du terrain du parc a été achetée la même année que celle de la date effective de l’évaluation.

Dans cette évaluation, il a donc été possible de relever une vente d’un terrain assujetti au même zonage que le terrain sujet (c.-à-d. institutionnel, résidentiel et commercial) et une autre vente qui s’était transigée au même prix pour l’agrandissement du Parc de la Chute-Montmorency. C’est là, à vrai dire, une situation quasi-idéale pour une étude de marché de terrains vacants ! Mais lorsque le zonage est plus restrictif, lorsqu’il n’autorise que le seul usage de parc récréatif, lorsqu’en plus il astreint le site à la contrainte de la reconnaissance comme bien culturel ou même aux très sévères restrictions du classement comme arrondissement historique ou naturel, dans toutes ces circonstances, la doctrine et la jurisprudence enseignent qu’il faut d’abord rechercher l’usage alternatif le plus probable de ce site et puis analyser le marché des transactions de terrains vacants assimilables à cet usage alternatif le plus probable. C’était le cas dans l’affaire du Parc historique de l’Île-Perrot.

En ce qui concerne les ouvrages de doctrine, l’une des meilleures références semble être le volume Readings in Highest and best use, de l’Institut américain des Évaluateurs. […]

Quant à la jurisprudence, le BREF et la Cour du Québec ont, tour à tour, clairement statué sur cette pratique du recours à un usage alternatif hypothétique à chaque fois que le zonage de la propriété sujette en limite l’usage à une vocation purement institutionnelle. Deux décisions sont probantes en ce sens : toutes deux portent sur des centres de détention où le zonage du terrain était d’un volet institutionnel très restrictif. Dans le cas de la prison de Saint-Jérôme, le BREF a considéré deux utilisations possibles comme usage alternatif à l’usage carcéral en vigueur, soit un usage résidentiel et un usage industriel. Dans le cas de la Prison de Bordeaux, la Cour du Québec a préféré retenir un usage industriel comme usage alternatif le plus probable.

Dans sa décision de première instance dans l’affaire [du parc historique de la Pointe-du-Moulin], le BREF privilégie sans aucune hésitation le recours à la simulation de l’usage alternatif le plus probable comme première étape d’une analyse paritaire du marché des terrains vacants de la région à l’étude. »

Quelque temps plus tard, dans la cause du parc historique du Domaine Cataraqui, le BREF allait reprendre cette même théorie du recours à l’usage alternatif le plus probable pour évaluer le terrain :

« Le BREF décide […] de tenir compte de l’utilisation la plus probable qui, selon lui, consiste en un usage alternatif de lotissement conforme au zonage avoisinant.

C’est là l’étalon préconisé par les évaluateurs de la C.U.Q. et que le BREF retient pour fixer ainsi la valeur devant figurer au rôle12. »

1.2 L’ESTIMÉ DU COÛT NEUF DES AMÉLIORATIONS DU PARC

« Pour tous les bâtiments anciens, historiques, comme le vieux moulin à vent du Parc de l’Île-Perrot qui date de 1705 ou la maison du meunier de 1785, qui sont devenus des centres d’interprétation de la vie ancestrale coloniale de la Nouvelle-France, un estimé du coût de reproduction doit être envisagé, à tout le moins d’un coût de reproduction de tous les éléments physiques apparents. […] Par contre les matériaux et les équipements de l’immeuble sont d’une facture toute contemporaine. […] Pour tous les bâtiments utilitaires, comme les kiosques d’information, les boutiques de vente, les garages et entrepôts, l’estimé du coût neuf de remplacement, conventionnel, convient adéquatement. »

1.3 LA DÉSUÉTUDE FONCTIONNELLE

« Une […] perte de valeur peut être provoquée par une mauvaise fonctionnalité des bâtiments et des améliorations en place, c’est la désuétude fonctionnelle; l’existence de cette perte de valeur demeure toutefois intimement liée à la contribution de chacun des aménagements du site par rapport à l’usage optimal de l’ensemble d’un parc récréo-touristique. Les bâtiments et autres constructions dont l’authenticité fait foi de la culture, de l’histoire, de la vie d’antan ne participent pleinement à la mise en valeur du parc que par leur fidélité à une architecture dont l’exercice est aujourd’hui révolu. C’est ainsi que le BREF conçoit très bien que le moulin à vent et la maison du meunier du Parc de l’Île-Perrot n’aient ni chauffage ni toilette, que peu d’isolation malgré l’épaisseur des murs, et qu’une faible fenestration, ce qui, à son avis, ne constitue nullement une désuétude fonctionnelle, mais respecte, au contraire, l’intégralité des coutumes de la vie traditionnelle des premiers colons. Les autres bâtiments et améliorations au sol, dont la raison d’être n’est que de faciliter et agrémenter la visite et la délectation des lieux, pourraient souffrir, eux, d’une désuétude fonctionnelle s’ils ne répondent pas adéquatement aux fonctions pour lesquelles ils ont été intégrés au parc. Par exemple, le BREF a considéré
que des stationnements trop étroits pour l’accès des autobus ou la rareté d’eau potable sur le site constituent des handicaps sérieux à la jouissance optimale du Parc historique de l’Île-Perrot.13 »

1.4 LE VERDICT DU BREF

Ainsi le BREF avait répondu à la question : quelle est la valeur réelle d’un parc ? par une application classique de la méthode du coût et il avait conclu à une indication de valeur de chacun de ces trois parcs.

2. LES TERGIVERSATIONS DE LA COUR D’APPEL

Mais c’est à l’étape suivante de la contestation de la valeur inscrite au rôle que tout a chaviré. Celle où les sociétés plaignantes ont plaidé devant les tribunaux d’appel. Celle de l’antinomie des décisions de la Cour d’appel.

2.1 LE PARC DE LA CHUTE-MONTMORENCY

Dans l’affaire du parc de la Chute-Montmorency, la Cour d’appel du Québec a soutenu le raisonnement du BREF en lui accordant son plein appui :

« En l’espèce, les questions soulevées portent sur des méthodes d’évaluation et le BREF était au cœur de sa compétence lorsqu’il en a disposé. »

La Cour d’appel a ainsi reconnu la théorie et les calculs de la méthode du coût de même que la conclusion de valeur mise de l’avant par le BREF.

2.2 LE PARC HISTORIQUE DE LA POINTE-DU-MOULIN

Dans la décision Notre-Dame-de-l’Île-Perrot, la Cour d’appel s’est objectée avec véhémence à la théorie d’une évaluation du terrain reposant sur l’usage alternatif le plus probable :

« Je suis en effet d’accord avec le juge Vermette [de la Cour du Québec] lorsqu’il affirme que l’évaluation sur la base de l’usage alternatif le plus probable fait complètement fi, en l’espèce, de l’impact limitatif du zonage parc et de la très faible probabilité de voir celui-ci être remplacé par un zonage moins restrictif. Tout l’exercice qui découle d’une telle comparaison me semble d’ailleurs entaché d’une telle tare. L’absence quasi totale de marché pour les terrains en vertu de leur zonage actuel est évacuée par cette comparaison, sans même que la municipalité ne prévoit une déduction quelconque susceptible d’en tenir compte.

En second lieu, en ce qui a trait à l’évaluation des bâtiments situés sur le terrain, c’est encore une fois l’absence totale de marché qui est oubliée dans l’analyse du BREF. Si la technique de l’évaluation en fonction du coût de remplacement des bâtiments est consacrée en jurisprudence, elle doit aussi tenir compte de l’impact de la valeur et des limites relatives à l’usage des terrains sur lesquels ils sont situés. Or, il n’en est rien dans la décision du BREF. »

Ensuite, comme pour se désembourber de son inconfort à appliquer la méthode du coût à l’évaluation d’un parc, la Cour d’appel a décrété qu’un zonage parc créait ipso facto une prétention à une valeur nominale. Puis elle a sommé la municipalité de renverser ce postulat :

« La logique commande […] que la présomption de valeur nominale trouve application à partir du moment où un terrain est assujetti à un zonage parc; il n’y a pas lieu d’en limiter l’application par des distinctions alambiquées puisque la seule raison d’être de la présomption est l’existence du zonage qui prive le terrain d’un marché d’échange. […]

À mon avis, tenant compte de toutes les faiblesses de la preuve relativement à une valeur autre que nominale, on ne peut que conclure que la municipalité appelante n’a pas réussi à renverser la présomption de valeur nominale. »

2.3 LE PARC HISTORIQUE DU DOMAINE CATARAQUI

Dans la décision Fondation Bagatelle inc., la Cour d’appel s’est, encore une fois, opposée à la théorie d’une évaluation du terrain reposant sur l’usage alternatif le plus probable :

« À ce sujet je suis d’avis que la valeur soutenue par l’appelante, celle d’une évaluation de la propriété comme s’il s’agissait d’un terrain à lotir, est irréaliste en ce qu’elle fait abstraction des contraintes pourtant bien réelles. L’argument sur lequel elle s’appuie est circulaire et fait en sorte que des immeubles qui n’ont aucune valeur dans un marché libre pourraient figurer au rôle à une valeur purement théorique par la fiction de l’usage alternatif le plus probable. »

Puis, elle a recouru au même axiome que dans la décision Notre-Dame-de-l’Île-Perrot en prétendant qu’un zonage parc engendre une valeur nominale… tant que le contraire n’est pas prouvé par la municipalité. Mais, la Cour d’appel a pris ses lecteurs par surprise lorsqu’elle a subitement fait volte-face et qu’elle a attribué, inopinément, sans aucune démonstration des calculs, une valeur de 1 951 000 $ à ce parc. En effet, après avoir défendu sa foi en une valeur nominale intrinsèque des sites zonés parc, la Cour d’appel a corroboré son contraire. Un tel geste peut friser l’absurdité, mais il s’intègre malgré tout à ce trio de jugements antinomiques.

La Cour d’appel s’est expliquée en ces mots :

« À mon avis, la situation du domaine se compare presque à tous égards à celle du Parc historique de la Pointe-du-Moulin pour lequel notre Cour n’a retenu qu’une valeur nominale. Il est exact que cette valeur lui a été attribuée en raison de la présomption de valeur nominale qui s’applique aux terrains zonés parc. Il faut cependant garder en mémoire le fait que cette présomption s’applique en raison de l’absence de valeur réelle d’une telle propriété dans un marché libre. […]
J’estime que les contraintes qui affectent Cataraqui font naître en l’espèce une présomption de valeur nominale car le domaine n’a aucune valeur dans un marché libre.

Il y a donc renversement du fardeau de la preuve, la Ville ayant l’obligation de démontrer que la valeur de l’immeuble est autre que nominale.

Je conclus donc que l’appelante n’a pas réussi à renverser la présomption sur la base de la preuve dont elle se réclame. Elle y parvient malgré tout, mais c’est par la reconnaissance que fait Bagatelle d’une valeur totale de 1 951 000 $. »

2.4 L’ANTINOMIE

Ainsi, à la question quelle est la valeur réelle d’un parc ?, les trois réponses officielles et décisives de la Cour d’appel ont été :

  • le parc de la Chute-Montmorency a une valeur réelle de 7 248 631 $;
  • le parc historique de la Pointe-du-Moulin a une valeur nominale de 1 $;
  • le parc historique du Domaine Cataraqui devrait valoir 1 $, mais (nous) disons qu’il a plutôt une valeur réelle de 1 951 000 $.

3. L’ARRÊT HALIFAX DE LA COUR SUPRÊME

Dix ans plus tard, soit en 2012, la Municipalité régionale d’Halifax a
porté la même question devant la Cour suprême du Canada, car le ministre fédéral responsable du programme des PERI15 avait décidé d’évaluer à une valeur nominale une grande partie du terrain d’un parc public dont il était propriétaire à Halifax.

3.1 PAS DE MÉTHODE PRESCRITE

Dans une décision unanime de ses neuf juges appelée l’arrêt Halifax, la Cour suprême s’est abstenue de privilégier une quelconque méthode d’évaluation des parcs publics :

« Je ne dis aucunement dans ces motifs que j’approuve ou que j’adopte une méthode en particulier à l’égard de ce délicat problème d’évaluation. »

3.2 PAS DE VALEUR NOMINALE

L’arrêt Halifax a déclaré déraisonnable d’évaluer un parc public à une valeur nominale aux fins de la taxation foncière :

« Bien que les parties se soient entendues pour dire que l’utilisation optimale de la propriété était celle de lieu historique national, le ministre a en fait décidé que son utilisation effective à cette fin n’avait aucune valeur. […] Le ministre a attribué au terrain […] une valeur nominale uniquement en raison de l’impossibilité de développer ce terrain. […] En l’espèce, la décision du ministre est déraisonnable. »

3.3 PAS D’A PRIORI

Et l’arrêt Halifax a statué qu’aucune autorité n’a le pouvoir de présupposer, d’elle-même, de la valeur nominale virtuelle des parcs :

« Le ministre a adopté en matière d’évaluation un point de vue catégorique selon lequel une propriété fédérale est sans valeur si son statut de lieu historique national fait obstacle à son aménagement ou à son utilisation à des fins commerciales. […] L’arrêt Administration portuaire de Montréal (par. 40) indique clairement que le ministre ne peut baser son évaluation sur un « système fiscal fictif » qu’il a créé lui-même. C’est toutefois exactement ce qui s’est passé en l’espèce. […] Il était déraisonnable d’utiliser une telle méthode d’évaluation. »

3.4 PAS DE PRATIQUE PANCANADIENNE

Le même arrêt a aussi constaté qu’aucun évaluateur au Canada n’attribue aux parcs une valeur nominale :

« En fait, selon les renseignements dont nous disposons, rien dans la preuve soumise au ministre ne montre qu’une quelconque autorité évaluatrice au Canada utilise une telle méthode pour évaluer des sites de cette nature. Les éléments de preuve soumis au ministre qui nous ont été cités indiquent plutôt le contraire. »

3.5 PAS DE JURISPRUDENCE PÉREMPTOIRE

La Cour suprême a toutefois rappelé aux évaluateurs municipaux leur devoir de vigilance et de précaution face à l’ambigüité d’une certaine jurisprudence sur ce sujet. Elle a donné en exemples deux des décisions antinomiques de la Cour d’appel du Québec :

« Je ne dis pas qu’une propriété assujettie à la Loi ne peut jamais se voir attribuer une valeur nominale. Par exemple, il se peut que, dans certains cas, l’autorité évaluatrice attribue une valeur nominale à une propriété qui est de son ressort : voir, p. ex., Notre-Dame-de-l’Île-Perrot (Paroisse de) c. Société générale des industries culturelles, […]; Québec (Communauté urbaine) c. Fondation Bagatelle Inc., […]. »

4. LA QUESTION DE LA VALEUR RÉELLE D’UN PARC

4.1 EN RÉSUMÉ

Ainsi, deux sociétés d’État et une fondation à but non lucratif ont posé une question aux tribunaux : quelle est la valeur réelle d’un parc ?

Les trois réponses du BREF ont été limpides : la méthode du coût s’y applique bien; quoique les contraintes d’un zonage institutionnel strict et/ou du classement comme arrondissement historique ou naturel s’avèrent parfois si restrictives qu’elles requièrent la prise en considération de l’usage alternatif le plus probable du site.

Mais, par la suite, les trois réponses de la Cour d’appel ont créé une antinomie. La décision SÉPAQ a conclu à une indication de valeur par une application de la méthode du coût; la décision Notre-Dame-de-l’Île-Perrot a vu émaner une présomption de valeur nominale du règlement de zonage parc; la décision Fondation Bagatelle inc. a tergiversé entre ces deux options.

Pour sa part, la Cour suprême du Canada, en réponse à une question semblable de la région d’Halifax, a déclaré déraisonnable d’attribuer une valeur nominale à un parc :

« La conclusion qu’un terrain de 42 acres situé en plein cœur d’un grand centre métropolitain n’a aucune valeur aux fins de taxation peut difficilement être considérée juste ou équitable. »

4.2 EN RÉTROSPECTIVE

À notre humble avis, à ce moment-là, le débat a semblé clos. Une portion de la question venait de trouver une réponse définitive… du plus haut tribunal du pays. Aucun OMRÉ n’était justifié d’inscrire au rôle les parcs et les lieux publics de son territoire à une valeur nominale. Quant à l’autre portion de la question, celle de la quantification de la valeur, nous avons alors cru que les décisions du BREF précitées, celles prônant la prise en considération de l’usage alternatif le plus probable du site, celles d’un coût de reproduction patrimoniale avec des matériaux du jour, celles des désuétudes adaptées à l’utilisation optimale d’un parc, méritaient d’être relues.

Mais, en une semaine de janvier 2023, la saga s’est ranimée. Deux tribunaux ont été appelés à se prononcer sur la valeur de deux parcs à des fins de fiscalité locale. Le TAQ a jugé que le parc de la Batterie Royale de Québec avait une valeur imposable de 1 $, dans la décision Batterie Royale, et la Cour fédérale a fixé la valeur effective du Parc de la Gatineau à plusieurs dizaines de millions de dollars, dans la décision Chelsea. Le débat a été relancé.

Nous croyons, humblement, qu’il serait bon de faire un retour aux sources. Relire les trois décisions du BREF des années
’90. Jeter un regard renouvelé à la doctrine, à l’interprétation de l’article 44 LFM et à la méthode d’évaluation que le BREF a trouvé pertinentes et conformes à la Loi sur la fiscalité municipale, trois fois de suite… mais qui ont été écartées par les décisions subséquentes de la Cour d’appel dont l’antinomie allait, d’ailleurs, lui attiré la moquerie de la Cour suprême.
La question quelle est la valeur réelle d’un parc ? demeure donc d’actualité… l’Histoire étant un perpétuel recommencement.