La mise au rôle des unités modèles des complexes immobiliers

Par Me Ariane Le Guern,
Service des affaires juridiques – Ville Laval

Les projets de complexe immobilier d’envergure se multiplient depuis les dernières années et leur attrait auprès des premiers acheteurs est grandissant. Ces complexes constituent un produit immobilier performant dont la popularité n’est pas près de disparaitre. De tels projets requièrent une attention soutenue de l’évaluateur municipal qui devra s’assurer que son rôle d’évaluation reflète bien la volonté du législateur quant à sa tenue à jour.

Mais quel traitement réserver aux constructions servant de bureaux de vente ou de location, aux roulottes de chantier et aux unités-modèles de ces complexes immobiliers? Souvent érigées avant même que soit réalisée l’excavation des terrains devant recevoir les complexes, ces constructions peuvent être utilisées durant une longue période, voire quelques années après la fin des travaux. Quoiqu’il en soit, la durée de leur vie ne constitue pas un obstacle à leur mise au rôle.

Généralement, les bureaux de vente et de location comportent tant des espaces à bureaux que des espaces servant de salles d’exposition d’aménagements de cuisine et de salle de bain. Parfois, une unité aménagée du complexe en cours de construction sert d’unité-modèle. Nous les retrouvons fréquemment sur le terrain qui recevra le complexe, parfois sur un tout autre terrain, souvent vacant et situé dans le même secteur. Dans le premier cas, il se peut que la construction soit déplacée sur le terrain où se déroule le chantier afin d’optimiser l’utilisation des lieux.

L’analyse de leur mise au rôle requiert de l’évaluateur qu’il prenne position à différents égards : « immeuble », « unité d’évaluation », « valeur » et « catégorie d’immeuble ». Il peut s’agir d’un exercice ardu si on considère que ces constructions ont une valeur relativement faible. Néanmoins, le principe demeure : sauf exception, tous les immeubles situés sur le territoire d’une municipalité locale doivent être portés au rôle d’évaluation foncière1 .

LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE LA CONSTRUCTION

L’évaluateur doit d’abord déterminer si la construction en question est un immeuble au sens de la définition de l’article 1 de la Loi sur la fiscalité municipale (RLRQ, c. F-2.1) (LFM)  :

 « Immeuble » :

1° tout immeuble au sens de l’article 900 du Code civil;

2° tout meuble, sous réserve du troisième alinéa, qui est attaché à demeure à un immeuble visé au paragraphe 1°; […]

L’article 900 du Code civil du Québec (RLRQ, c. CCQ-1991) est à l’effet qu’une construction à caractère permanent qui se trouve sur un fonds de terre est immeuble. Si ce n’est pas le cas, le bien pourra tout de même être considéré comme immeuble s’il est un meuble physiquement attaché à des fondations ou s’il est placé de façon à être autrement immobilisé, un critère retenu par la Cour d’appel dans l’arrêt Québec (Ville) c. Corporation d’assurance de personne la Laurentienne2   :

De l’ensemble de ces définitions, je retiens un élément commun qui, par « coïncidence », constitue l’essence même de la question en litige, et c’est le caractère d’immobilisation.

Ce qui fait qu’un objet peut être dit « attaché » à quelque chose, c’est d’abord et avant tout qu’il est retenu par un lien quelconque ou pour utiliser le terme du premier alinéa de l’article 380 C.C., placé ou fixé de façon telle à être immobilisé. Ceci, à mon avis, exige davantage qu’une simple adhérence au sol et qu’une simple difficulté à bouger l’objet comme conséquence de son poids, de sa masse ou de son volume. La simple adhérence, en ce sens, ne saurait être assimilée à une attache ou au fait d’être attaché. Par ailleurs, j’en conclus également qu’il n’est pas absolument nécessaire qu’il y ait une attache physique, c’est-à-dire un tiers objet qui serve d’attache, pour conclure qu’un objet est « attaché » dans la mesure où il est autrement immobilisé.

Bref, un objet mobilier, immobilisé sur ou dans un immeuble ou une partie d’immeuble, devient un objet mobilier « attaché » à cet immeuble. C’est très simplement son immobilisation qui établit le fait qu’il est « attaché ».

Les bureaux de vente et de location s’apparentent souvent à des unités ou modules préfabriqués, de type « roulotte » ou « conteneur », reposant sur des fondations en béton coulées à même le sol. Ils sont généralement reliés rudimentairement aux services municipaux et au réseau électrique d’Hydro-Québec.

Dans la plupart des cas, leur aménagement comporte des espaces de stationnement en gravier ou recouverts d’asphalte, lesquels aménagements sont des immeubles.

Toujours en gardant à l’esprit que chaque cas doit être examiné à son mérite, l’évaluateur qui arrive à la conclusion que la construction est un immeuble devra la porter au rôle en vertu de la règle générale de l’article 31, à moins qu’il ne soit d’avis que l’une des exceptions prévues aux articles 63 et suivant s’applique.

LE MOMENT DE LA MISE
AU RÔLE

La construction qui, de l’avis de l’évaluateur, est un immeuble sera portée au rôle lorsqu’elle sera substantiellement terminée :

32. Un bâtiment est porté au rôle lorsqu’il est substantiellement terminé ou substantiellement occupé aux fins de sa destination initiale ou d’une nouvelle destination, ou lorsque deux ans se sont écoulés depuis le début des travaux. Cependant, ce délai cesse de courir dans un cas de force majeure.

Lorsque la construction est isolée (« free standing »), l’analyse du critère de « substantiellement terminé » porte sur la construction elle-même comme bâtiment et non sur l’ensemble des constructions du projet. Compte tenu de la faible envergure d’un bureau de vente, la constatation de l’accomplissement du critère de « substantiellement terminé » ne pose pas problème.

LE RATTACHEMENT À L’UNITÉ D’ÉVALUATION

Le moment venu de la mise au rôle, il convient de rattacher la construction à l’unité  d’évaluation. Si la règle générale veut que les immeubles portés au rôle soient inscrits par unité d’évaluation au nom du propriétaire du terrain3  , l’évaluateur devra vérifier s’il ne se trouve pas devant un cas d’exception4  .

Par exemple, l’article 40 prévoit une exception relative à la roulotte5 devenue immeuble et qui n’appartient pas au propriétaire du terrain :

 40. Chaque bien qui était une roulotte avant de devenir un immeuble, s’il n’appartient pas au même propriétaire que le terrain sur lequel il est placé, constitue, avec les autres immeubles situés sur son assiette, une unité d’évaluation distincte portée au rôle au nom de son propriétaire.

La construction en question devra constituer une unité d’évaluation distincte. Pensons à la roulotte de chantier de l’entrepreneur général qui, compte tenu de la durée des travaux, aurait été immobilisée. Le même sort pourrait aussi être réservé à une roulotte servant de bureau de vente ou de location. Il importe donc que l’évaluateur sache à qui appartient la construction.

Une autre exception est celle des immeubles ayant fait l’objet d’une déclaration de copropriété divise:

41. Si un immeuble a fait l’objet d’une déclaration de copropriété en vertu de l’article 1052 du Code civil, chacune de ses parties faisant l’objet d’une propriété divise constitue une unité d’évaluation distincte portée au rôle au nom de son propriétaire.

La quote-part d’un copropriétaire dans les parties communes de l’immeuble fait partie de l’unité d’évaluation constituée par sa partie exclusive de l’immeuble.

Dans ce contexte, il faudra déterminer si la construction en question est une partie privative ou une partie commune. Il serait évidemment difficile de se prononcer sans examiner la ou les déclarations de copropriété pertinentes.

Dans le cas d’une unité-modèle aménagée à même un complexe en cours de construction, si cette unité est une partie privative, l’évaluateur devra la considérer comme une unité d’évaluation distincte, portée au rôle au nom de son propriétaire.
Si en revanche la construction est située sur une partie commune, sa valeur devra être considérée dans la quote-part de chacune des parties privatives, à l’instar des autres parties communes.

 

LES CATÉGORIES D’IMMEUBLES

L’article 244.29 autorise une municipalité à fixer plusieurs taux de la taxe foncière générale en fonction des catégories d’immeubles auxquelles appartiennent les unités d’évaluation6 . L’article 244.30 présente la liste de ces catégories.

L’utilisation des constructions à l’étude est de nature commerciale, donc de nature à appartenir à la catégorie des immeubles non résidentiels7  . La LFM prévoit toutefois que, sauf exception, une unité d’évaluation qui comporte des bâtiments dont la valeur8  est inférieure à 10% de celle du terrain appartient à la catégorie des terrains vagues desservis9  .

L’une des exceptions est le cas d’une unité d’évaluation qui comporte un terrain « qui, de façon continue, est […] exploité à des fins […] commerciales autres que le commerce du stationnement ». La présence d’un bureau de vente ou de location dont la valeur est inférieure à 10% de celle d’un terrain par ailleurs inutilisé serait susceptible de ramener l’unité d’évaluation à la catégorie des immeubles non résidentiels.

Il reviendrait alors à l’évaluateur de déterminer la classe qui devra être attribuée à l’unité d’évaluation, après avoir déterminé la valeur contributive du bâtiment, le cas échéant, du terrain sur lequel s’exercent les activités commerciales et des aménagements.

 

CONCLUSION

Chaque cas étant un cas d’espèce, l’évaluateur n’échappera pas à son parcours habituel : quoi, quand, comment, à qui et combien?

Notes:

1 31 LFM.
2 Québec (Ville) c. Corporation d’assurance de personne la Laurentienne, [1995] R.J.Q. 731.
3  35 al. 1 LFM.
4  Le deuxième alinéa de l’article 35 LFM prévoit par exemple que lorsque l’unité d’évaluation comprend un terrain dont le propriétaire est un organisme public et un bâtiment dont le propriétaire n’est pas celui du terrain, une unité d’évaluation est, sous réserve de l’article 41.1.1, inscrite au nom du propriétaire du bâtiment
5  La LFM définit une roulotte comme suit : « une remorque, semi-remorque ou maison mobile utilisée ou destinée à être utilisée comme habitation, bureau ou établissement commercial ou industriel et qui n’est pas devenue un immeuble »
6  244.29 LFM.
7  Art. 244.31 et 244.32 LFM.
8 Le débat relatif à l’interprétation de l’article 244.36 (la valeur du bâtiment est-elle au rôle) a toujours cours : le 24 janvier dernier, la Cour d’appel a accordé aux Jardins de Vérone la permission d’en appeler de la décision Jardins de Vérone c. Ville de Québec, 2021 QCCS 5315, par laquelle la Cour supérieure a donné raison à la Ville de Québec, et ce, contrairement à l’arrêt de la Cour d’appel dans la décision Le Crystal de la montagne.
9  Art. 244.36 LFM