Droit de préemption : ce qu’il faut savoir

Auteur
ME PATRICE RICARD,
AVOCAT ASSOCIÉ – BÉLANGER SAUVÉ

Tous ont probablement entendu parler du nouveau droit de préemption et en connaissent le sens général. Dans le langage courant, on parlera souvent de l’équivalent d’un droit de premier refus, ce qui n’est pas inexact. Toutefois, alors que le droit de premier refus trouve habituellement sa source dans les ententes immobilières, le droit de préemption trouve sa base dans l’inscription d’un tel droit sur un immeuble, au Registre foncier du Québec. Dans l’un et l’autre cas, le titulaire du droit possède l’avantage sur quiconque d’acheter en priorité le bien immobilier aux mêmes conditions que celles présentées par un tiers-offrant.

À QUI S’ADRESSE LE DROIT DE PRÉEMPTION?

Le droit statutaire de préemption est depuis peu mis à la disposition de toutes les municipalités du Québec. La Ville de Montréal possédait ce droit depuis 2018, suite à un amendement à sa Charte. L’élargissement de l’admissibilité à ce droit, découle de la mise en vigueur, le 10 juin 2022, de la Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation (projet de loi no 37) (2022, chapitre 25). Ce droit est devenu également accessible aux MRC, aux Régies intermunicipales et aux Sociétés de transport en commun. De nombreuses lois furent modifiées à cette occasion, dont la Loi sur les cités et villes, le Code municipal du Québec et la Loi sur les sociétés de transport en commun.

COMMENT CE DROIT EST-IL EXERCÉ?

Ce droit donne à l’organisme municipal admissible, ayant adopté un règlement le permettant, la possibilité d’acquérir en priorité tout immeuble de son territoire sur lequel il a préalablement inscrit un avis d’assujettissement au Registre foncier. La durée de cet avis ne peut excéder 10 ans et il ne peut y avoir plus d’un avis sur un immeuble.

Le règlement adopté doit prévoir les fins municipales pour lesquelles les immeubles peuvent être acquis. Ces fins doivent correspondent aux domaines de compétence de l’organisme, par exemple : le logement social ou abordable, l’habitation, les parcs, le transport en commun, les loisirs, etc. L’avis inscrit doit décrire les fins retenues.

Un organisme municipal qui a inscrit un avis peut aussi agir comme mandataire pour un autre organisme qui autrement aurait été admissible, en inscrivant un nouvel avis pour le compte de l’autre, précisant les fins d’acquisition de ce dernier. De cette façon, si le mandataire n’exerce pas son droit de préemption, le mandant le pourra.

Le propriétaire de l’immeuble visé, une fois qu’il a décidé de le vendre et s’est entendu sur les conditions avec un acheteur, doit notifier un avis d’intention d’aliéner à l’organisme municipal qui a inscrit un avis d’assujettissement. Il doit y indiquer le nom de l’acheteur envisagé et les conditions entendues de la vente projetée. Doit être également mentionné toute contrepartie non monétaire avec une estimation fiable de celle-ci.

La vente par un propriétaire d’un immeuble visé par un avis d’assujettissement et qui n’a pas notifié son intention d’aliéner à l’organisme municipal peut être annulée.

QUELS SONT LES DÉLAIS À SUIVRE?

L’organisme municipal possède 60 jours, à partir de l’avis du propriétaire, pour notifier son intention d’exercer son droit de préemption aux conditions prévues à l’avis de notification. Pendant ce temps, l’organisme peut demander tout renseignement sur l’immeuble,
y avoir accès et y faire toute analyse pertinente concernant son état. S’il confirme l’exercice de son droit de préemption au bout des 60 jours, ou même avant, l’organisme a 60 jours de plus pour payer le propriétaire à compter de l’annonce de sa décision d’acquérir. Si l’avis de l’intention d’aliéner inclut une estimation d’une contrepartie non monétaire, le prix d’acquisition doit être augmenté pour autant.

À défaut de la conclusion d’un acte notarié, l’organisme devient propriétaire par l’inscription d’un avis de transfert. Certains articles de la Loi sur l’expropriation s’appliquent alors avec les adaptations nécessaires.

Si l’organisme municipal renonce à l’exercice de son droit à la suite de la notification de l’avis d’intention d’aliéner, la vente avec l’acheteur initial peut se réaliser. L’organisme doit alors faire radier l’avis d’assujettissement sur l’immeuble.

QUELS SONT LES DROITS DE L’ACHETEUR INITIAL?

Ses dépenses raisonnables peuvent être remboursées. Selon le texte des lois modifiées, l’organisme « doit dédommager la personne qui envisageait d’acquérir l’immeuble pour les dépenses raisonnables qu’elle a engagées dans le cadre de la négociation du prix et des conditions de l’aliénation projetée. »

Il peut s’agir par exemple des coûts d’inspection et de caractérisation. 

 

QUELLES SONT LES RESTRICTIONS AU DROIT DE PRÉEMPTION?

Le droit ne peut s’exercer à l’égard d’immeubles appartenant à certains organismes publics visés par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Le droit peut aussi être subordonné à celui de certains autres organismes. Enfin, le droit ne peut s’exercer sur un immeuble en voie d’être aliéné au bénéfice d’une personne liée au propriétaire dans certains cas de figure prévus dans la Loi sur les impôts.

Qu’en est-il du vendeur? Se trouve-t-il désavantagé par le droit de préemption, malgré le fait qu’il vende aux conditions entendues avec l’acheteur initial? 

Cette question a déjà fait couler un peu d’encre dans la littérature. Certains ont vu dans le droit de préemption, une limitation à la capacité du vendeur de pouvoir négocier avec plusieurs acheteurs et de faire monter les enchères. Sachant l’existence d’un droit de préemption, il est permis
de penser que le nombre d’acheteurs potentiels puisse être moindre en raison d’un possible désintéressement. 

QUELS SONT LES AVANTAGES POUR L’ORGANISME MUNICIPAL?

Au même titre que le droit de premier refus en matière privée, il est difficile de ne pas y voir un avantage pour le titulaire du droit de préemption. En effet, l’organisme municipal a la possibilité de réaliser une transaction avant les autres, tout en pouvant y renoncer dans le respect des délais. Il est logique de croire qu’une priorité sur d’autres potentiels acquéreurs tendra à permettre à une partie de conclure une bonne affaire, d’autant plus si l’avis d’assujettissement a eu pour effet de limiter le nombre d’offrant.

L’organisme municipal possédant un pouvoir d’expropriation pourra également être avantagé. Dans la mesure où l’immeuble qu’il convoite se retrouve sur le marché et fait l’objet d’une offre, il s’en trouvera rapidement informé et pourra l’acquérir en payant un prix de vente reflétant une valeur marchande au lieu d’être tenu à une indemnité d’expropriation.

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