Demandes préalables de communication de documents au TAQ : entre pertinence et efficacité

Auteur
ME PATRICE RICARD, AVOCAT ET ASSOCIÉ CHEZ BÉLANGER SAUVÉ
Deux décisions du Tribunal soient 2550, Daniel-Johnson Investments Ltd c. Laval (Ville)1 (ci-après « 2550 D-J ») et Costco Wholesale Canada Ltd c. Laval (Ville)2 (ci-après « Costco »), se sont penchées récemment sur les conditions applicables aux demandes de communication de documents dans la phase exploratoire précédant une audition. À cette occasion, le Tribunal a fait état de divers précédents3.
Dans le dossier 2550 D-J, les documents requis étaient relatifs à l’élaboration d’une méthode du revenu, tels que : états financiers, cédules de location, baux, listes et coûts de travaux, etc. Était aussi requise l’obtention des documents relatifs au recours. La requérante s’y objectait, d’avis que leur communication soulevait un problème de confidentialité et que les documents sur la vente n’étaient pas pertinents et constituaient une partie de pêche, alors que le débat ne portait que sur une problématique de stationnement et de vacances. La communication de certains documents était aussi refusée puisque ceux-ci étaient postérieurs à la date d’évaluation. Mentionnons par ailleurs que la requérante avait consenti à la communication de certains autres documents.
Le Tribunal donna droit pour l’essentiel, sinon l’intégralité, à la demande de communication de la Ville. Pour les documents postérieurs à la date d’évaluation, le Tribunal s’appuya sur l’article 46 de la Loi sur la fiscalité municipale, indiquant qu’il permet d’englober les données du marché et les faits raisonnablement prévisibles à la date de référence. Pour les documents de la vente, ils s’avéraient pour le Tribunal une indication privilégiée du marché.
Concernant la portée du débat selon les évaluateurs, le Tribunal fut d’avis que cela n’avait pas d’impact, en rappelant qu’il avait le devoir de déterminer dans sa globalité tous les aspects constituant la valeur de l’immeuble.
Quant aux baux dont l’intimée souhaitait recevoir copie pour éviter que son évaluateur ait à passer plusieurs jours dans les bureaux de celui de la requérante, le Tribunal donna droit à la communication, jugeant démesuré de forcer la consultation sur place. Le passage suivant est particulièrement d’intérêt pour les évaluateurs municipaux :
La requérante est prête à fournir des résumés des baux récents qu’elle confectionnerait en fonction des besoins de l’évaluateur de l’intimée, ainsi qu’une consultation de baux aux bureaux de l’évaluateur de la requérante, ce que l’intimée juge insuffisant.
Le Tribunal voit mal comment un évaluateur agréé pourrait se contenter de résumés de baux préparés par quelqu’un qui ne fait pas partie de son équipe. Il considère donc que celui de l’intimée est bien fondé à refuser cette offre.
La lecture des baux de l’immeuble en cause dont il n’a pas déjà une copie s’avère essentielle, puisqu’il s’agit d’un immeuble à revenus. La preuve révèle qu’une cinquantaine de baux sont en vigueur dans l’immeuble.
Demander à l’évaluateur de l’intimée de passer plusieurs jours dans les bureaux de l’évaluateur de la requérante pour résumer ces nombreux baux pouvait se comprendre à une époque où les photocopier aurait été très lourd.
Mais de nos jours, alors que les moyens sécuritaires pour transférer sans grand effort de nombreux fichiers se multiplient, c’est exigé que l’évaluateur de l’intimée se déplace ainsi pour consulter les baux, devient démesuré.
Quant à la confidentialité des renseignements ainsi obtenus, ces informations m’apparaissent bénéficier de la protection de la loi4 puisqu’obtenues dans le cadre de ses fonctions (confectionner et maintenir à jour le rôle5) : il pourra ainsi les utiliser dans ce cadre. Si toutefois ces renseignements devaient être utilisés dans le cadre d’une audition, le TAQ sera alors habilité à prononcer toute ordonnance pertinente (huis clos, mise sous scellé, etc.) :
Le Tribunal n’en prononce donc pas, confiant que les parties sauront prendre les moyens pour protéger cette confidentialité si nécessaire. Il se contente de prévoir un délai suffisant pour soumettre une telle demande, si l’intimée décide de produire en preuve certains de ces documents ou des informations qui en proviennent lors d’une éventuelle audition.
Dans le dossier Costco, la Ville demandait les documents faisant état des ventes réalisées. Costco était d’avis que ces documents n’étaient pas pertinents puisqu’il ne s’agissait pas d’évaluer l’entreprise de la requérante. Pour l’évaluateur de l’intimée, il était pertinent pour un commerce de détail puisqu’il aidait à établir un loyer paritaire dans le cas d’un propriétaire occupant. En référence aux précédents en la matière, le Tribunal mit de l’avant les principes de transparence et de collaboration, militant vers la divulgation réciproque de tous les éléments pertinents au litige afin d’établir la véracité des faits. Parmi les précédents, le Tribunal cita un extrait relatif aux enseignements récents en matière de gestion hâtive d’instance, voulant que tout ne doive pas être orienté vers l’audition et que l’échange d’information primait sur tout afin d’éviter des délais et des coûts et de donner aux parties le droit à une défense pleine et entière6. Il rappela par ailleurs la limite que pose une demande déraisonnable ou excessive.
Le procureur de l’intimée fit valoir qu’à l’étape exploratoire, le test de pertinence était moins restrictif qu’à l’audition. À son avis, il n’y avait rien d’excessif dans la demande et il fallait à ce stade permettre à la partie qui désire administrer une preuve de progresser dans son analyse. Il est permis de penser qu’il faisait ainsi écho à une décision dans laquelle le Tribunal avait déjà déclaré qu’au stade exploratoire, la pertinence devait s’évaluer de manière très large, qu’elle devait prendre un certain recul au bénéfice de l’efficacité et qu’il n’est plus requis de démontrer que le document aura une utilité au procès7.
Cela dit, dans la décision Costco, le Tribunal a reconnu le principe qu’en cas de doute il fallait donner une chance à la partie qui désire administrer une preuve.
Toutefois, s’appuyant sur la preuve, il lui est apparu que les documents de ventes étaient inutiles puisque les baux comparables au dossier n’impliquaient pas des baux à pourcentage, le tout selon le témoignage de l’évaluateur de l’intimée. Avec égard, on peut s’interroger sur le fait que le Tribunal s’appuyait vraisemblablement sur une preuve sommaire administrée lors d’une audition incidente. La collaboration encouragée dans l’échange d’information aurait pu s’avérer efficace ne serait-ce que pour éviter le débat incident qui fut tenu.
Les chiffres de vente étaient également recherchés par l’intimée dans son approche du coût pour valider ou non la présence d’une désuétude économique. Or, le Tribunal n’en a pas vu la pertinence en raison du fait que l’expert de la Ville ne voyait pas à ce stade l’indice d’une telle désuétude, et l’autre évaluateur non plus. Sachant que les positions des parties sont quelques fois évolutives, il est intéressant de mettre en parallèle cette affirmation
du Tribunal avec le rappel de son devoir de déterminer, dans sa globalité, tous les aspects de la valeur exprimée dans la décision 2250 D-J. Reconnaissant tout de même cette possibilité d’évolution, le Tribunal ordonna à la requérante de fournir les documents de vente s’il advenait plus tard que son évaluateur concluait à l’existence d’une désuétude économique.
On constate que la ligne entre pertinence et efficacité peut s’avérer fine. Chaque dossier bien sûr constitue un cas d’espèce et il appartient au Tribunal de trouver le juste équilibre.
1 2023 CanLII 46102 (QC TAQ).
2 2023 CanLII 73552 (QC TAQ).
3Corporation Bais Halevy et al c Ville de Boisbriand et al, 2021 QCTAQ 12590; Ville de Laval c Autobus Galland Ltée, 2022 QC- TAQ 02110; Domtar inc. c Ville Windsor et al, 2008 QCTAQ 12630; Agropur Coopé- rative c Ville de Longueuil, 2017 QCTAQ 11374; Bell Canada c Ville de Gatineau, 2020 QCTAQ 01484; Costco c Ville de Trois-Rivières, 2005 CanLII 69897.
4 Articles 78 et 79 LFM;
5 La « défense » du rôle devant le TAQ fait partie de sa tâche de tenue à jour du rôle – voir l’article 142 LFM (témoignage du représentant de l’évaluateur dans le cadre de l’audition de tout recours & l’article 182 qui fait partie du chapitre XV intitulé « Tenue à jour du rôle »);
6 Articles 78 et 79 LFM;
7 La « défense » du rôle devant le TAQ fait partie de sa tâche de tenue à jour du rôle – voir l’article 142 LFM (témoignage du représentant de l’évaluateur dans le cadre de l’audition de tout recours & l’article 182 qui fait partie du chapitre XV intitulé « Tenue à jour du rôle »);