Coup d’oeil
Par Antoine Moreau, sociologue et Sabine Van Eeckhout, socio économiste
Libre Opinion – Le Devoir du 31 décembre 2021
DE L’EXPROPRIATION À LA RÉINSTALLATION
Les changements climatiques nous touchent de plus en plus. Érosions côtières et inondations plus fréquentes et plus importantes menacent ou ont déjà détruit plusieurs infrastructures, habitations et milieux de vie au Québec et au Canada. Nous devons nous adapter !
Parmi l’ensemble des mesures d’adaptation envisageables, le déplacement physique de milieux résidentiels, industriels ou autres deviendra inévitable, et s’avérera parfois même moins coûteux que les autres mesures.
En raison des changements climatiques, des mesures de déplacement de milieux 0habités sont déjà mises en œuvre à plusieurs endroits dans le monde. Au Québec, la municipalité de Longue-Rive, en Haute-Côte-Nord, planifie le déplacement d’une douzaine de résidences qui sont à risque d’être menacées par l’érosion côtière au cours des prochaines années. Cette situation fait partie des multiples impacts prévus par le gouvernement québécois dans sa Stratégie gouvernementale d’adaptation aux changements climatiques de 2013-2020.
Malgré les efforts des gouvernements dans l’identification des impacts et dans la planification de mesures d’adaptation aux changements climatiques, il n’en reste pas moins que nous ne sommes pas prêts à déplacer adéquatement les populations et les milieux touchés par les changements climatiques.
En effet, au Québec et au Canada, c’est l’expropriation et non la réinstallation qui est encadrée par les lois. Celles-ci définissent les exigences et obligations de l’exproprié et de l’expropriant. Ce cadre légal est essentiellement administratif et économique.
Ces lois encadrent donc uniquement la portion économique de l’expropriation, mais laissent en plan tous les autres aspects : psychologique, social, humain. C’est pour cette raison, selon nous, que l’expropriation telle qu’on la pratique au Québec et au Canada engendre d’importantes conséquences sociales, psychologiques et humaines qui pourraient être évitées avec un bon plan de réinstallation.
Le parc Forillon, l’aéroport de Mirabel, la tour de Radio-Canada et, plus près de nous, l’échangeur Turcot, ces expériences québécoises d’expropriation communautaire ne sont pas heureuses ! Les coûts cachés de ces expropriations sont énormes. En effet, le déracinement
et les difficultés d’adaptation au nouveau milieu de vie peuvent amener une baisse du niveau de vie, du stress et dans certains cas dramatiques, des dépressions et des suicides. Ces répercussions ont des coûts pour les personnes concernées et pour la société.
Il existe pourtant, depuis près de 30 ans, des normes internationalement reconnues, des méthodes et des outils détaillés, testés et raffinés par l’expérience, qui encadrent la réinstallation des personnes et des communautés. Ces moyens sont appliqués dans le cadre de projets d’infrastructures financés par des agences multilatérales, des banques, des fonds d’investissement privés, etc.
Ces règles et pratiques visent le rétablissement, sinon l’amélioration du niveau de vie des personnes déplacées, la participation active et éclairée des parties prenantes touchées par cette réinstallation, dont, bien entendu, au premier chef, les familles touchées, ainsi qu’une meilleure acceptabilité sociale de la réinstallation. Lorsqu’elles sont appliquées correctement, ces normes permettent d’éliminer ou de réduire grandement les conséquences néfastes d’une réinstallation.
Il est temps que le Québec se penche sur ces normes et expériences internationales pour revoir le cadre législatif et institutionnel
de l’expropriation afin d’employer correctement la réinstallation comme une importante mesure d’adaptation aux changements climatiques.