Coup d’œil
Auteur
LOUIS ROY

Photo Adil Boukind – Ferme Vimo, à Hatley, en Estrie
NOS TERRES AGRICOLES MAL EN POINT – SONT-ELLES RÉCUPÉRABLES?
Comment répondre à la question : « Comment contrer l’infertilité grandissante des sols et l’usage abusif des engrais et pesticides chimiques qui nuisent à la santé ?»
Eh bien, il faut déjà savoir que les sols connaissent en effet des problèmes de fertilité, partout sur la planète. La dégradation des sols a réduit de 23 %
la productivité de la surface terrestre, a notamment averti la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
Une étude largement citée de l’Université Lancaster au Royaume-Uni a aussi conclu en 2020 que si l’on continue nos pratiques agricoles actuelles, jusqu’à 16 % des terres agricoles auraient moins de 100 années d’espérance de vie.
Au Québec, le portrait n’est pas vraiment plus rose. « On sait qu’on est en dynamique de perte importante de matière organique », explique Marie-Élise Samson, professeure au département des sols et du génie agroalimentaire de l’Université Laval.
Le premier état des lieux sur la santé des sols agricoles du Québec depuis 1990 vient en effet d’être déposé par des chercheurs de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). Une équipe menée par Marc-Olivier Gasser a notamment comparé des échantillons de mêmes parcelles étudiées en 1990, pour documenter leur évolution.
Parmi les résultats en cinq rapports volumineux, ils ont trouvé que les sols subissent encore une forte dégradation, surtout en monoculture intensive, même s’il n’y a pas une folle accélération du phénomène.
Faut-il donc s’en faire ? « Oui, la problématique n’est pas négligeable », dit Mme Samson. Le quart des superficies cultivées au Québec présentent
des contenus en matière organique « inquiétants », sous les 4 %, le « seuil à partir duquel cela peut avoir un impact défavorable ».
CRÉER UN CERCLE VERTUEUX
Après avoir établi qu’en effet les sols vont plutôt mal, n’oublions pas de nous tourner vers les solutions.
Comment en effet entretenir cette « banque de fertilité » décrite par Mme Samson ? « Tranquillement, si on n’entretient pas un sol, on ne fait que gruger dans notre banque et bientôt on se retrouve à crédit. »
Il faut notamment songer aux manières d’ajouter de la matière organique — qui contient entre autres du carbone, de l’azote, du phosphore, du soufre — plutôt que des engrais minéraux. « Plus de 80 % de ce que la plante prélève en azote provient du sol lui- même et non pas de l’élément fertilisant », dit la chercheuse.
C’est un peu le même principe que les vitamines et les suppléments pour les humains : notre organisme les assimile moins bien dans une capsule que dans l’alimentation.
L’agriculture en grandes cultures, telle qu’on se l’imagine avec un entre-rang bien propre entre le maïs, ce n’est vraiment pas l’idéal pour la santé du sol, mentionne la chercheuse.
Un sol a plutôt besoin d’être recouvert de plantes au maximum « dans le temps et dans l’espace » et idéalement d’une diversité pour rester bien vivant. D’où la popularité grandissante des cultures de couverture. Il s’agit de plantes qui peuvent être plantées avant ou après les cultures principales, ou même simultanément entre les rangs justement, en « intercalaire » dans le jargon du milieu.
Le défi, si on les plante en même temps que la culture principale, est de les éliminer pour pouvoir récolter. Certains utilisent le glyphosate ou d’autres herbicides pour ce faire, ce qui attire des critiques à son tour.
Il est aussi envisagé de les détruire mécaniquement : mais alors ce travail a d’autres inconvénients, dont le potentiel d’affecter la structure du sol.
Les producteurs ont un débat similaire entre ceux qui pratiquent le semis direct et ceux qui labourent. Le labour laisse la terre à nu, mais diminue la nécessité de recourir à des herbicides. Parmi les problèmes structurels, le compactage amené par la machinerie est d’ailleurs souvent souligné.
« Il n’y a vraiment aucune solution parfaite à tous les égards. […] Il faut le voir de façon systémique et intégrer, et créer des systèmes qui ont le moins d’impact sur l’environnement, tout en permettant de nourrir la planète », résume Marie-Élise Samson.
On peut aussi mettre une terre en prairie ou en pâturage si elle a besoin de retrouver la santé. « Par exemple, on plante des plantes pérennes, souvent des mélanges de graminées et de légumineuses, qui vont couvrir le sol dès le début de la saison jusqu’à la fin, et même durant l’hiver. Au printemps, elles sont prêtes à repartir et recommencer à faire de la photosynthèse », raconte Marie-Élise Samson. Le sol va ainsi se rebâtir une banque. Plusieurs producteurs usent déjà aussi de la stratégie de rotation des cultures : on peut planter du fourrage ou des céréales d’automne par exemple, mais ces solutions ont du mal à prendre leur place dans les régions à forte production de maïs et de soya.
Quant aux pesticides, la fertilité permettra également d’en réduire l’usage, en un cercle vertueux. « Un sol en santé va être riche en micro-organismes, avec une belle diversité qui crée une meilleure résilience face à des agents pathogènes et différentes maladies », illustre la chercheuse.
Un sol en santé séquestre aussi davantage de CO2, ce qui en fait un bon puits de carbone pour lutter contre les changements climatiques.