Coup d’oeil
Dans la section « idées » du Devoir du 14 avril 2022, j’ai pris connaissance d’une proposition de monsieur Nicolas Marceau, professeur titulaire au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et ancien ministre des Finances et de l’Économie dans le gouvernement québécois.
Cet article met sur la table une proposition pour le milieu municipal qui cherche depuis longtemps à réformer l’impôt foncier tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Voici l’avenue que propose monsieur Marceau.
Réformer l’impôt foncier pour accroitre l’offre de logements
En raison d’un nombre insuffisant de logements, le marché de l’habitation est sous tension. La rareté de logements résulte de la conjugaison de plusieurs phénomènes. D’une part, la demande de logements augmente parce que la population s’accroît rapidement, notamment du fait de l’immigration et parce que le télétravail, qui exige de l’espace, s’est généralisé avec la pandémie. D’autre part, du côté de l’offre, les mises en chantier ne suivent même pas le rythme d’accroissement de la population. On ne sera alors pas surpris que le marché avantage les propriétaires et vendeurs et que les loyers et les prix d’achat des propriétés augmentent fortement.
On connaît les conséquences de cette situation : rareté de logements abordables pour les ménages à faibles revenus, difficulté d’accès à la propriété pour les jeunes et même frein à la mobilité des travailleurs, ce qui vient réduire la qualité de l’appariement travailleur-emploi et donc la productivité.
Dans un contexte de rareté de logements, les mesures visant à aider les ménages tendent à augmenter la demande et à exacerber les tensions sur le marché. Elles ne constituent donc pas une vraie solution. Quant aux mesures qui réduiraient la demande, ce même contexte fait qu’elles ne sont pas politiquement envisageables.
Il vaut donc la peine de chercher des solutions du côté de l’offre. Plusieurs raisons font que les mises en chantier sont insuffisantes. Parmi elles, il y a que les coûts de construire et de détenir un
logement sont élevés relativement au prix qu’on peut en obtenir par la vente ou la location. Ces coûts élevés découragent la construction. Or, un de ces coûts est l’impôt foncier.
Au Québec, l’impôt foncier d’une propriété résidentielle est calculé très simplement. D’une part, on établit la valeur de la propriété, incluant le bâtiment et le terrain sur lequel il est construit. D’autre part, la municipalité fixe le taux de taxation applicable aux propriétés résidentielles. Le montant à payer par le propriétaire est alors le taux de taxe multiplié par la valeur de la propriété.
Les municipalités québécoises taxent la portion terrain et la portion bâtiment au même taux. Mais tel n’est pas le cas partout dans le monde. Par exemple, en Pennsylvanie, on a depuis longtemps fait le choix de l’impôt foncier à taux distincts : on y taxe les bâtiments à un taux beaucoup plus faible que les terrains. Dans cet État, il n’est pas rare que le taux applicable aux terrains soit trois fois, quatre fois, et même dix fois plus élevé que celui applicable aux bâtiments.
Pourquoi pas une réforme ?
L’impôt foncier à taux distincts plus faibles pour les bâtiments que pour les terrains procure des avantages importants. D’abord, en taxant relativement moins les bâtiments, on encourage la construction et la rénovation des logements. Par exemple, pour un terrain donné, on a intérêt à construire plus de logements parce que l’augmentation de la valeur du bâtiment en découlant est moins taxée.
De la même manière, un propriétaire qui rénove son logement, et qui augmente de ce fait l’évaluation du bâtiment, subira une plus faible augmentation de son compte de taxes. Par ailleurs, parce que les terrains sont relativement plus taxés, on a intérêt à construire plus de logements par mètre carré de terrain, car cela permet de répartir sur un plus grand nombre de logements la portion terrain de l’impôt foncier.
Des études ont confirmé que l’impôt foncier à taux distincts favorise la construction et la rénovation résidentielles. Adopter un tel impôt ici permettrait donc d’augmenter l’offre et, à terme, d’atténuer les tensions sur le marché. En plus, et ce n’est pas rien dans le contexte de la lutte actuelle contre les changements climatiques, les études confirment qu’un tel impôt favorise la densification du territoire et qu’il réduit l’étalement urbain. Avec un territoire plus dense, il est raisonnable de croire que le transport collectif serait plus utilisé et que les commerces de proximité seraient favorisés.
Pourquoi continuons-nous, au Québec, d’utiliser l’impôt foncier à taux unique alors que celui à taux distincts lui est supérieur ? Ne pourrait-on pas envisager une réforme de l’impôt foncier, en gardant inchangé le fardeau global de cet impôt, dans laquelle le taux de taxation des bâtiments diminuerait et celui des terrains augmenterait ?
La réponse courte est qu’en dépit des avantages collectifs qu’elle procurerait, une telle réforme ferait quelques perdants. Parmi les contribuables perdants, il y aurait ceux dont les terrains valent relativement cher et qui verraient en conséquence leur compte de taxes augmenter. Politiquement, une telle réforme pourrait donc être périlleuse.
Si la réforme envisagée prévoyait l’introduction de taux distincts et une réduction du fardeau global de l’impôt foncier, il y aurait alors possibilité de diminuer le nombre de perdants et l’acceptabilité de la réforme serait plus grande. Par contre, une réduction du fardeau global signifie que les municipalités verraient leurs revenus décroître, ce qui n’est pas envisageable. En fait, pour pouvoir aller de l’avant, il faudrait que le gouvernement du Québec dédommage les municipalités pour la baisse de leurs revenus. Si tant est qu’on trouve cette proposition valable, les négociations du prochain pacte fiscal Québec-municipalités seraient une bonne occasion d’en débattre.